LES TEMPLIERS, TRAGÉDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

 

LE CONNÉTABLE, MARIGNI FILS.

 

MARIGNI.

Le Monarque applaudit à votre heureux succès,

Et lui - même bientôt arrive en ce palais :

Votre avis réglera l'instant de sa présence ;

Hors des murs de Paris le cortège s'avance.

 

LE CONNÉTABLE.

Aucun des chevaliers ne résiste, et je crois

Que tous se soumettront aux volontés du roi.

Dès que la nuit propice a, d'un voile plus sombre,

Caché de nos guerriers et la marche et le nombre,

Nous avons investi ces murs. Le jour naissant

A montré des assauts l'appareil menaçant;

Déjà les chevaliers opposaient leur courage ;

Mais à peine du roi je transmets le message,

Les portes s'ouvrent, j'entre, et surveillés de près,

Ils sont comme captifs dans leur propre palais.

 

MARIGNI.

Je ne le tairai point devant le connétable :

Comment les Templiers et leur chef respectable

Auraient-ils mérité leur destin rigoureux ?

On semble les proscrire ; on vous arme contre eux.

Quoi ! sans les accuser, Philippe les opprime !

Je vois un châtiment, et j'ignore le crime.

 

LE CONNÉTABLE.

Ces braves chevaliers qui, s'égalant aux rois,

Remplissaient l'Orient du bruit de leurs exploits,

Qui, dans chaque royaume et surtout dans la France,

Puissants de leur crédit et de leur opulence,

Obtenaient les respects du peuple et de la cour,

Pour renverser leur gloire, il a suffi d'un jour !

Déjà l'inquisiteur a marqué ses victimes ;

On parle vaguement de complots et de crimes :

 

Que je les plains! Suspects pour être trop puissants,

Comment aux yeux du roi seraient-ils innocents ?

Facile à s'alarmer, quelquefois il pardonne

Les complots qu'il connaît, jamais ceux qu'il soupçonne :

Pour nous, guerriers soumis et fidèles sujets,

Ne nous permettons pas de juger ses projets.

Marigni nous devons notre exemple à la France ;

Notre premier devoir est dans l'obéissance.

Obéissons. Alors il nous sera permis

De parler en faveur de nos dignes amis :

J'espère auprès du roi trouver l'instant propice

D'intercéder pour eux, d'implorer sa justice.

Retournez donc vers lui; vous désiriez savoir

Si ces lieux sont déjà prêts à le recevoir ;

Qu'il vienne : le moment sans doute est favorable.

Et moi, j'attends ici ce guerrier vénérable,

Ce chef des Templiers que j'admire à-la-fois

Régnant parmi les siens et servant sous les rois ,

Le grand-maître ; il m'est cher, j'estime sa vaillance ;

Qu'il se dise innocent, je prendrai sa défense.

 

MARIGNI.

Pour sa noble franchise et pour sa loyauté,

Même des Musulmans, il était respecté :

S'il se dit innocent, certes, on peut l'en croire :

J'interrogeai les lieux qui racontent sa gloire,

Quand, privé de l'hymen promis à mon amour,

Honteux de reparaître aux regards de la cour,

Il fallait m'éloigner d'une amante chérie,

Sur les bords du Jourdain, aux champs de la Syrie,

Je courus partager les glorieux exploits

Des guerriers que guidait l'étendard de la Croix.

D'autres soins loin de nous retenaient le grand-maître ;

Mais d'illustres récits me le faisaient connaître.

Calme dans les revers, calme dans les succès,

Du sentier de l'honneur ne s'écartant jamais,

Au chevalier chrétien et même à l'infidèle

Des plus nobles vertus il offrait le modèle ;

Tous citaient sa valeur, tous comptaient sur sa foi :

Il paraît. Je vous quitte, et vais auprès du roi.

 

  

LES TEMPLIERS.

ACTE I

SCÈNE II

 

 

LE GRAND-MAITRE, LE CONNÉTABLE.

 

LE GRAND-MAITRE.

Quoi ! c'est vous, Châtillon ! Quand tout me semble à craindre,

Ami, je vous revois ! je cesse de me plaindre.

 

LE CONNÉTABLE.

Cher Molai ! j'ai rempli mon sévère devoir,

Et maintenant je cède au besoin de vous voir. 

O respectable ami ! je vous connais sincère :

Dites-moi, n'avez-vous nul reproche à vous faire ?

Que le guerrier français, le chevalier chrétien

Me réponde.

 

LE GRAND-MAITRE.

                     Mon cœur ne se reproche rien.

Le roi nous persécute ; et pourquoi ? je l'ignore :

J'en cherchais le prétexte et je le cherche encore.

Quand je quittai la cour du monarque français,

J'emportai son estime et ses nobles bienfaits :

Au nom des rois chrétiens, il promit qu'une armée

Viendrait nous seconder, pour sauver l'Idumée.

Je revis le Jourdain, et l'étendard sacré

Au-delà de ses bords bientôt fut arboré :

Nous reprîmes Sion. Je baignai de mes larmes

Les degrés de l'autel que délivraient nos armes.

Si nous eussions des rois obtenu le secours,

Le temple était alors reconquis pour toujours ;

Mais aucun ne s'arma pour la cause commune ;

Trahis dans notre espoir, trahis par la fortune,

Il fallait de Sion délaisser les remparts ;

Le pontife romain me rappelait : je pars.

Soixante chevaliers m'accompagnent en France ;

J'apprends qu'on nous dénonce, et j'offre ma défense :

On ne m'écoute pas. Ne m'a-t-on rappelé

Que pour être trahi, que pour être immolé ?

J'ai fait de l'infortune un long apprentissage ;

D'un guerrier, d'un chrétien, je me sens le courage.

S'il faut braver la mort et s'il faut la souffrir,

Quarante ans de périls m'ont appris à mourir.

 

LE CONNÉTABLE.

Vous avez des amis dont le généreux zèle

Ne redoutera point de se montrer fidèle ;

La reine hautement se déclare pour vous : Espérons.

 

LE GRAND-MAITRE.

Mais le roi, qu'exige-t-il de nous ?

 

LE CONNÉTABLE.

Je crois que le ministre est chargé d'un message.

 

LE GRAND-MAITRE.

Dès longtemps il nous hait, souvent il nous outrage ;

C'est lui que j'aperçois.

 

 

LES TEMPLIERS.

ACTE I

SCÈNE III.

 

LE GRAND-MAITRE, LE CONNÉTABLE, LE MINISTRE.

 

LE MINISTRE,

(Au Connétable.)

                                                 Connétable, restez.

 (Au Grand-Maître.)

Les grands desseins du roi seront exécutés.

Déjà de votre sort vous vous doutez peut-être ?

 

LE GRAND-MAITRE.

Je l'attends sans effroi.

 

LE MINISTRE.

                                    Vous n'êtes plus grand-maître.

 

LE GRAND-MAITRE.

Qui l'a jugé ?

 

LE MINISTRE.

                      Le roi.

 

LE GRAND-MAITRE.

                                  Mais l'Ordre entier...

 

LE MINISTRE.

                                                                      N'est plus.

 

LE GRAND-MAITRE.

Croirai-je ?.

 

 

LE MINISTRE.

                      Épargnez-vous des regrets superflus ;

Soumettez-vous au prince : il l'espère, il l'ordonne.

 

LE GRAND-MAITRE.

Mais en a-t-il le droit? quel titre le lui donne ?

Mes chevaliers et moi, quand nous avons juré

D'assurer la victoire à l'étendard sacré,

De vouer notre vie et notre saint exemple

A conquérir, défendre et protéger le temple,

Avons-nous à des rois soumis notre serment ?

Non, Dieu présida seul à cet engagement.

Le roi l'ignore-t-il ? et doit-on l'en instruire ? 

Le seul pouvoir qui crée a le droit de détruire.

Un concile autrefois nous avait établis ;

Un concile aujourd'hui nous a-t-il abolis?

Ce droit que l'on exerce au nom du diadème,

Nous le contesterions à la tiare même ;

Mais le roi m'entendra : je vais auprès de lui.

Bientôt...

 

LE MINISTRE.

                Avec la cour il arrive aujourd'hui ;

C'est ici seulement qu'il daigne vous entendre.

 

LE GRAND-MAITRE.

Non, je cours le chercher.

 

LE MINISTRE.

                                         Je dois vous le défendre.

 

LE GRAND-MAITRE.

Comment !

 

LE MINISTRE.

                    Nul chevalier ne sort de ce palais.

 

LE GRAND-MAITRE.

C'est vous qui l'annoncez ?

 

LE MINISTRE.

                                                 J'ai des ordres exprès :

Ils s'exécuteront, et votre résistance

Serait aux yeux du prince une nouvelle offense.

 

LE GRAND-MAITRE.

Le monarque trompé nous peut sacrifier ;

Mais que ses serviteurs se gardent d'oublier

Qu'en ce palais encore ils parlent au grand-maître ;

Que je le suis toujours, et saurai toujours l'être.

 

LE MINISTRE.

De résister au roi prévoyez le danger.

 

LE GRAND-MAITRE.

Portez-lui ma réponse, au lieu de la juger.

 

 

LES TEMPLIERS.

ACTE I

SCÈNE IV.

 

LE CONNÉTABLE, LE MINISTRE.

 

LE CONNÉTABLE.

La haine les accuse; ils ne sont pas coupables.

Dénoncer, immoler ces guerriers respectables,

C'est tromper le monarque, et c'est trahir l'état.

 

LE MINISTRE.

Vos avis prévaudront dans un jour de combat :

Élevé dans les camps, un guerrier magnanime

Refuse noblement de soupçonner le crime.

 

LE CONNÉTABLE.

Je fais plus à-présent que de le soupçonner.

 

LE MINISTRE.

D'un semblable discours j'ai droit de m'étonner.

 

LE CONNÉTABLE.

Dans le champ de l'honneur il nous faut du courage

Mais je vois qu'en ces lieux il en faut davantage :

Tel marche à l'ennemi sans être épouvante,

Qui n'ose dans les cours dire la vérité;

Moi, j'oserai la dire.

 

LE MINISTRE.

                               Eh bien !... le roi s'avance ;

Blâmez de ses projets la sévère prudence ;

Plaignez-vous à lui-même.

 

 

LES TEMPLIERS.

ACTE I

SCÈNE V.

 

 

LE CONNÉTABLE, LE MINISTRE, LE ROI, MARIGNI FILS.

 

LE ROI.

                                 Annoncez à ma cour

Que j'ai dans ce palais établi mon séjour :

La reine suit mes pas....

Au ministre. )             Parlez-moi du grand-maître.

Se soumet-il ?

 

LE MINISTRE.

                          Non, sire; il ose méconnaître

Et les droits du pontife et vos augustes droits.

Notre ordre, m'a-t-il dit, ne dépend point des rois.

 

LE ROI.

Aurais-je dû m'attendre à cette résistance ?

Sans doute vous jugez combien elle m'offense :

Tout accuse à-la-fois ces guerriers dangereux ;

Et j'hésitais pourtant à prononcer contre eux !

Marigni ? votre fils revient de l'Idumée ;

Il aura sagement jugé leur renommée :

J'ai su qu'à côté d'eux il avait combattu.

Qu'il parle; que peut-il attester ?

 

MARIGNI.

Leur vertu, Sire, pardonnez-moi ce langage sincère ;

Je dis la vérité, je ne puis vous déplaire.

 

LE MINISTRE,

(à son fils.)

Ignorez-vous qu'ils sont les ennemis du roi ?

 

LE ROI.

Qu'il parle , je le veux.

 

MARIGNI.

                                    Vous l'exigez de moi :

Je remplis un devoir, alors qu'à leur courage,

A leur saint dévouement je rends un juste hommage.

J'admirai dans les camps ces braves chevaliers ;

Chrétiens toujours soumis, intrépides guerriers,

De tous les malheureux protecteurs charitables,

C'est aux seuls Musulmans qu'ils étaient redoutables.

Sire ! aux jours de péril, les a-t-on vus jamais

Payer de leur honneur ou la vie ou la paix ?

Dans les murs de Saphad une troupe enfermée,

Ne pouvant plus combattre une nombreuse armée,

Se rend, et le vainqueur, lâchement irrité,

Malgré le droit des gens, jusqu'alors respecté,

Veut que les chevaliers renoncent à leur culte :

Mais il prodigue en vain la menace et l'insulte ;

En vain par les bourreaux il les fait outrager :

Intrépides encore dans ce nouveau danger,

Ils marchent à la mort d'un pas ferme et tranquille :

On les égorgea tous ; sire, ils étaient trois mille.

Du trône et de l'autel intrépides soldats,

Modestes dans le cloître et fiers dans les combats,

S'ils ne peuvent toujours obtenir la victoire,

Ils obtiennent du moins la véritable gloire

Que leur zèle poursuit en tout temps, en tout lieu : 

Ils meurent pour leur roi, leur patrie et leur Dieu.

Voilà de quels exploits leur courage s'honore ;

Voilà ce qu'ils ont fait, ce qu'ils feraient encore.

 

LE ROI.

Depuis qu'au Musulman leur défaite a livré

Et Solyme et le temple et le tombeau sacré,

J'ai voulu, de leur Ordre attaquant la puissance,

Rattacher ces guerriers aux destins de la France ;

J'avais, dans mes desseins, constamment préparé

L'heureux moyen d'atteindre à ce but désiré.

Quelques faits éclatants ont illustré mon règne ;

Il faut que l'étranger me respecte ou me craigne.

Le Français me chérit, depuis qu'en nos États,

Où délibéraient seuls les grands et les prélats,

Le premier, j'ai du peuple introduit le suffrage :

Mon peuple dans nos lois révère son ouvrage.

Le pontife romain, fier de quelques succès,

Ne voyait dans les rois que ses premiers sujets ;

Des lois de mon royaume il se disait l'arbitre :

J'ai bravé son audace, en respectant son titre ;

Et, de ce prêtre altier réprimant les vains droits,

J'aurai de sa tutelle affranchi tous les rois.

Les exploits d'Edouard bravent-ils ma puissance,

Il expie aussitôt sa superbe imprudence :

Justement effrayé de mes hardis projets,

En vassal de ma gloire, il accepte la paix.

Si les Flamands d'abord vainquirent notre armée,

J'ai fait de leur succès taire la renommée ;

Moi-même, combattant dans les plaines de Mons,

J'ai du jour de Courtrai réparé les affronts :

Jusqu'au pied des autels consacrant ma victoire.

Un monument pieux en garde la mémoire ;

Et mes travaux peut-être ont déjà mérité

D'obtenir un regard de la postérité.

Mais, quand j'affermissais les destins de la France,

J'ai senti que ma gloire et surtout ma prudence

Commandaient d'abolir un Ordre redouté,

Dont l'orgueil menaçait ma propre autorité.

Qu'espérer de guerriers qui, dans cet instant même,

Opposent leurs vains droits aux droits du diadème ?

Ils offensent mon titre, ils bravent mon courroux.

Il faut prendre un parti : que me proposez-vous ?

Pensez que le monarque aujourd'hui vous confie

Les intérêts du trône et ceux de la patrie.

 

LE MINISTRE.

Sire, n'hésitez point : à la rigueur des lois

Livrez ces ennemis de l'Église et des rois.

Les Templiers, jadis dans les champs d'Idumée,

Acquirent justement leur noble renommée ;

Avec zèle longtemps ils avaient combattu ;

Leur pauvreté modeste assurait leur vertu :

Mais, quand de toutes parts les dons et les largesses

Eurent mis dans leurs mains d'imprudentes richesses,

Avides d'en jouir et de les augmenter,

Aux droits les plus sacrés on les vit attenter.

L'ambition suivit de près les injustices ;

A l'attrait des plaisirs succédèrent les vices.

Bientôt des Musulmans leur orgueil eut appris

 

A jeter sur la foi le doute et le mépris ;

Enfin tel est leur crime : une croyance impie

A remplacé les lois de la chevalerie.

Je ne m'en cache pas : longtemps j'ai refusé

De croire aux vils forfaits dont l'Ordre est accusé ;

Et je frémis encore d'arrêter ma pensée

Sur cette impiété qui vous est dénoncée.

Ce signe révéré des chrétiens, cette croix

Qui brille sur l'autel et sur le front des rois,

Il faut, pour être admis, qu'un chevalier l'outrage,

Et blasphème le Dieu dont elle offre l'image.

Dois-je vous dire encore quel juste châtiment

Mérite de leurs mœurs l'affreux dérèglement ?

Dois-je de tant d'excès faire un tableau sincère ?

Même en les punissant, il convient de les taire.

Sire, excusez mon fils : a-t-il connu de près

Ces guerriers, leurs statuts et leurs rites secrets ?

 

LE CONNÉTABLE.

S'il faut juger de tous par leurs chef respectable,

Sire, j'affirmerai qu'aucun d'eux n'est coupable.

Le grand-maître trahir son dieu ! trahir son roi !

Je vous réponds de lui, sire, comme de moi ;

Daignez...

 

LE ROI.

                 Je suis surpris, et j'ai raison de l'être :

Pour la première fois vous louez le grand-maître.

En aviez-vous jamais parlé comme aujourd'hui ?

 

LE CONNÉTABLE.

Sire, ses actions parlaient assez pour lui.

Je sais qu'en cet instant on craint de le défendre,

Et j'aime à le louer, quand il ne peut m'entendre.

J'admirais le grand-maître au milieu des combats :

Sire, je l'imitais et ne le vantais pas.

Mais il est accusé, j'offre mon témoignage ;

J'atteste ses vertus, son zèle, son courage :

Aucun de nos guerriers, capitaine ou soldat,

Plus que lui ne chérit et le prince et l'État.

Sire, au lieu de céder aux clameurs de l'envie,

Rendons cet Ordre utile au trône, à la patrie.

Vainqueurs des Castillans, les nombreux Sarrasins

 

Menacent l'Aragon et les pays voisins ;

Et si l'Afrique un jour enhardit leur vaillance,

Il faudra nous armer pour délivrer la France.

Dans les plaines de Tours, jadis Charles-Martel

Sauva de leurs fureurs et le trône et l'autel.

De vaincre comme lui vous acquerriez la gloire ;

Prévenez le péril : c'est une autre victoire.

Que de l'Ordre accusé les chefs et les soldats

Sur les bords du Jourdain reportent les combats :

Noblement exilés pour la cause publique,

Ils sauveront l'Europe, en menaçant l'Afrique.

Ou dois-je vous soumettre un projet moins hardi ?

La mer, qui de la France enrichit le midi,

Du commerce d'Europe et d'Afrique et d'Asie

Deviendrait aisément l'asile et la patrie.

Choisissez donc une île, un port, une cité ;

Placez-y ces guerriers sous votre autorité ;

Que sur les flots au loin leur vigilant courage

Des vaisseaux voyageurs protège le passage :

Si de ces chevaliers le zèle et le succès

Assurent le respect au pavillon français,

Vous verrez de nos ports l'activité féconde

Étendre et rapprocher le commerce du monde.

Sire, que l'Ordre existe et vous serve à-la-fois :

Détruire est le talent du vulgaire des rois ;

Mais, de tous les pouvoirs établir l'harmonie,

Créer ou conserver, c'est l'œuvre du génie.

 

LE ROI.

Que ne trouvé-je en eux de fidèles sujets !

J'appellerais leur zèle à de pareils projets ;

Mais au lieu d'obéir, ils donnent le scandale

De méconnaître en moi l'autorité royale :

Nous avons éprouvé s'ils sont ambitieux !

Alors que dans Paris un peuple factieux

De nos deniers, marqués d'une empreinte nouvelle ,

Dénonçait à grands cris l'alliage infidèle,

Ces guerriers, disait-on, avaient secrètement

Préparé ce terrible et vaste mouvement.

Des périls dont cet Ordre entrave ma puissance

J'hésitai trop longtemps à délivrer la France.

Longtemps de leurs projets je me suis méfié ;

Leur audace aujourd'hui m'a trop justifié.

(Au Connétable.) Du chef de ces guerriers ami prudent et sage,

 

Je vous charge auprès d'eux de mon dernier message :

Qu'ils apprennent de vous quel serait leur danger,

Si j'avais ou mes droits ou ma gloire à venger.

Lorsque l'inquisiteur sans cesse les dénonce ;

Lorsque son bras levé n'attend que ma réponse,

Cèdent-ils à mes veux ? le silence, l'oubli

Couvriront les erreurs de cet Ordre aboli ;

Mais si leur résistance offense encor le trône,

Au tribunal sacré leur roi les abandonne :

Je ne veux pas leur sang ; j'espère l'épargner ;

Mais il faut que tout cède au devoir de régner.

 

FIN DU PREMIER ACTE.