La rose mystique d'Auzon

 

 

     L'entrée du chœur est délimitée par un arc de gloire portant des symboles spécifiques à la Commanderie.

 

     Le chapiteau du pilier sud est décoré d'une rosace bien particulière que nous nous proposons d'étudier plus en détails.

 

    Cette figure est composée de cercles; un premier cercle au centre est entouré d'une première série de 11 pétales. Une seconde série de 16 pétales forment un ensemble circulaire qui a perdu ses couleurs, sur fond rouge entre deux fleurs de lys stylisées bleues ( tous les autres chapiteaux de la chapelle portent les mêmes fleurs de lys qui, selon Louis Girard, pourraient avoir pour origine le passage de la Vienne par Clovis en 507 ).

 

     Lors d'une visite, Catherine Garreau, intriguée par ce symbole et spécialiste des mandalas a bien voulu nous transmettre le texte suivant :

 

    Voici l'interprétation finale dite "des 5 cœurs de Marie" :

 

"Cinq cœurs de Marie"  11-16
"Cinq cœurs de Marie" 11-16

 

     La rosace comporte 11 corolles intérieures.  Le cercle divisait par 11 (soit 360° / 11, on obtient 32,73°). Est-ce un rapprochement au 33° degré Franc-maçon ?

 

     Les ronds, qui se trouvent « au creux » des corolles, sont au nombre de 6.

 

     Les cœurs de Marie sont au nombre de 5. On y retrouve la trinité puisque 3 cœurs se suivent.

 

     Le chiffre 5 en ésotérique se rapporte à la Mère.

 

     On peut constater que cette rosace semble codée comme une partition de musique.

 

     Si on part du point cardinal « Est », et du premier cœur de Marie, nous avons ceci :

[1/2 creux, 1/2 creux] ; [1/2 creux, 1/2 creux] ; [1/2 creux, 1/2 creux] ; [1 creux] ; [1 creux] ; [1/2 creux, 1/2 creux] ; [1 creux] ; [1 creux] ; [1/2 creux, 1/2 creux] ; [1 creux] ; [1 creux].

 

     Soit :

(½ Ton, ½ Ton) - (½ Ton, ½ Ton) - (½ Ton, ½ Ton) – (1 Ton)- (1 Ton)- (½ Ton, ½ Ton)-  (1 Ton)- (1 Ton) - (½ Ton, ½ Ton) - (1 Ton)- (1 Ton).

 

     On a alors 10 demi ton (2 * 5) et 6 ton (1*6). Au total : 10 + 6 = 16 soit 2 octaves (2*8).

 

     Cette rosace est donc très particulière et a été une volonté de l’auteur. 

 

     C’est pourquoi plusieurs variantes ont été élaborées car il n’y a pas de logique par rapport à la rosace en éventail formant la base des ronds.

  

     Normalement, l’auteur aurait dû obtenir, en partant d’une corolle de 11, 22 ronds tous en demi creux ou 11 ronds tous en creux. Et si on devait obtenir 16 ronds tous en demi creux, alors il fallait partir d’une rosace de 8.  (voir les autres dessins de rosace).

 

     Voici les trois "fleurs de vie" que nous aurions trouvé en cas d'interprétations classiques simples :

 

8-16
8-16
11-11
11-11
11-22
11-22

 

     Merci à Catherine Garreau pour cette recherche d'autant plus séduisante que la grande utilisatrice de mandalas chrétiens est l'abbesse Hildegard Von Bingen (1098-1179, sainte et docteur de l'église depuis 2012). Ci-dessous quelques exemples de ses œuvres. Or Hildegarde était très liée à saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) qui l'a défendue auprès du pape Eugène III lors de l'essaimage de son monastère et de la publication des visions. Saint Bernard assurait que les visions d'Hildegarde étaient de nature divine. Hildegarde était, entre autres activités, compositrice de musique, ce qui pourrait confirmer le texte de Catherine Garreau ! Les chants d'Hildegarde sont d'ailleurs arrangés hiérarchiquement par paire... comme dans notre rosace. Le Scivias (Sache les voies du Seigneur) a été écrit par Hildegarde entre 1141 et 1151 donc tout à fait contemporain de la construction de la chapelle.

 

     A plusieurs reprises, Hildegarde associe le lys et la rose lors de ses visions.

 

     Ecoutez la cinquième vision.

     Lisez la remarquable étude de Louis Baillet.

     Ecoutez le " O ignis Spiritus ".

     Visitez son site ou encore celui-ci.

     En visio.

 


 

     Vu l'utilisation du bleu, on peut même se demander si l'œuvre d'Hildegarde n'a pas inspiré la composition du Christ en gloire de la chapelle à l'instar des fresques du réfectoire des Dominicaines de Cologne ou du Campo Santo de Pise dont parle Louis Baillet. Voici un Christ en gloire également sur fond bleu illustrant l'œuvre d'Hildegarde. La couleur est fondamentale lors de la description des visions d'Hildegarde. 

 

 

     Deux compléments pour notre approche :

 

     -1- C'est saint Bernard qui est à l'origine des cinq mystères douloureux du Rosaire; cinq moments de la passion qui ont percé le cœur de Marie : agonie, flagellation, couronnement d'épines, portement de la croix, crucifiement. La dévotion au cœur immaculé de Marie a pour fondement la théologie mariale de saint Bernard de Clairvaux.

 

     -2- Aliénor n'était pas une inconnue pour Hildegarde quand elle lui écrivait : " Ton esprit est comme un mur battu par la tempête. Tu regardes autour et tu ne trouves pas de repos ". Rappelons qu'Aliénor fut reine de France jusqu'en 1152 et que le décor de la chapelle qu'on lui doit avec ses fleurs de lys et ses fresques à sainte Radegonde ne peut pas être postérieur.

 

 

     Le chapiteau nord, en face de la rose mystique, représente un écu renversé, position inverse de son utilité protectrice :

 

 

 

      Comment, après tout cela, ne pas évoquer ici la prière favorite de Bernard de Clairvaux, grand protecteur des Templiers, qu'illustreraient ces deux chapiteaux face à face ?

 

En la suivant, on ne dévie pas.

En la priant, on ne désespère pas,

En pensant à elle, on ne se trompe pas.

Si elle te tient par la main, tu ne tomberas pas.

Si elle te protège, tu ne craindras pas.

Si elle est avec toi, tu es sûr d’arriver au but.

Marie est cette noble étoile dont les rayons illuminent le monde entier,

dont la splendeur brille dans les cieux et pénétré les enfers.

Elle illumine le monde et échauffe les âmes.

Elle enflamme les vertus et consume les vices.

Elle brille par ses mérites et éclaire par ses exemples.

Ô toi qui te vois balloté au milieu des tempêtes, ne détourne pas les yeux de l’éclat de cet astre si tu ne veux pas sombrer,

si les vents de la tentation s’élèvent, si tu rencontres les récifs des tribulations, regarde l’étoile, invoque Marie.

Si tu es submergé par l’orgueil, l’ambition, le dénigrement et la jalousie regarde l’étoile, invoque Marie.

Si, accablé par l’énormité de tes crimes, confus de la laideur de ta conscience, effrayé par l’horreur du jugement, tu commences à t’enfoncer dans le gouffre de la tristesse, dans l’abîme du désespoir, pense à Marie.

Que son nom ne quitte pas tes lèvres, qu’il ne quitte pas ton cœur,

et pour obtenir la faveur de ses prières,

n’oublie pas les exemples de sa vie. 

 

Bernard de Clairvaux

 

     Les mandalas sont faits pour être coloriés. Catherine Garreau a choisi l'or pour le centre, couleur claire adaptée à la représentation divine. Hildegarde aurait choisi le blanc pur. La deuxième couche pouvait représenter le fils alliant les deux natures, la troisième Marie avec ses cœurs. Le fond est rouge, couleur choisie par Hildegarde pour représenter les occupations terrestres envahissantes dans les visions du Scivias. Nous avons ainsi tous les stades entre la nature divine pure et notre nature terrestre.

 

     C'est d'ailleurs ce que nous rappellent les frises omniprésentes dans la chapelle et particulièrement au dessus de cette rose mystique :

 


 

     Le triangle équilatéral dirigé vers le haut symbolise la perfection divine et celui dirigé vers le bas la création à l'image du divin. C'est d'ailleurs une des significations de l'étoile de David formée elle aussi de deux triangles équilatéraux illustrant l'imbrication et les tensions entre l'esprit et la matière.

 

     Ces illustrations sont donc tout à fait conforme à la base même de la doctrine qu'Hildegarde von Bingen était chargée, par le Christ lui même avec la bénédiction de saint Bernard et d'Eugène III, de nous faire connaître en écrivant son Scivias.

 

     Ce symbolisme est donc bien destiné à mettre en valeur la doctrine de saint Bernard destinée à nous enjoindre d'accepter nos faiblesses humaines comme un don du ciel pour élever notre spiritualité et la mettre au service du bien commun, thème tout à fait contemporain et antinomique du catharisme naissant que saint Bernard combattait (1139 - 2ème concile du Latran).