Photo de Martin Aurell directeur du CESCM

Martin Aurell spécialiste des Plantagenêts, historien médiéviste né à Barcelone. Il est directeur du Centre d'études supérieures de civilisation médiévale et de la revue Cahiers de civilisation médiévale, professeur à l’université de Poitiers depuis 1994, après avoir été maître de conférences à l'Université de Rouen et à l'Université de Paris IV-Sorbonne.

Diplômes :  doctorat à l’université de Provence (1983) ; diplôme de l’École pratique des hautes études (EPHE) en sciences historiques et philologiques ; doctorat d’État à l’université de Provence (1994).

 

Il est l'auteur des ouvrages suivants : L'empire des Plantagenêt 2004 ; Chevaliers et châteaux forts 2011 ; Le Chevalier lettré 2011 ; Hommes et Femmes du Moyen Age 2012 ; Des Chrétiens contre les croisades 2013.

 

 

Quelques voix défavorables au projet des ordres militaires

 

 

 

Quelques dates concernant les croisades :

 

 

 

 

Les états d'orient

 

Les états latins , du nord au sud :

Les états alliés :

Les états arabes :

 

La croisade : une institution « médiévale » étrangère à nos mentalités

 

  • A l'époque, le mot "croisade" est inconnu, sauf croiserie (1229-1231), il est dérivé de Cruce signati (croix cousue).
  • On assiste à des vagues appelées "iter, via ou passagium" entrepris par des peregrini: « pèlerinage en armes »
  • C'est une guerre sainte et « sanctifiante », voulue par Dieu (Deus vult), proclamée par une bulle du pape, menée avec son légat. Les participants s’y engagent par vœu et obtiennent des Indulgences pour leurs péchés confessés.
  • Mais également d'autres privilèges comme la protection des biens et des personnes, l'hospitalité, l'exemption de péages, un moratoire pour les dettes (l’hypothèque des biens)…

 

 

Première partie

 

Le « pacifisme » radical

 

 

Le message du Christ n’est pas « politique » au sens propre, mais le Nouveau Testament comporte des versets d’un pacifisme radical :

  • « Si quelqu’un te frappe sur une joue, tends-lui l’autre; si quelqu’un te force à marcher mille pas avec lui, fais-en deux mille » (Mt 5, 39-41)
  • « Pierre, remets le glaive dans le fourreau. Crois-tu que je ne peux pas demander à mon père de m’envoyer plus de 12.000 légions d’anges ? » (Mt 26, 52-53)
  • « Pourquoi se venger, plutôt que d’accepter de subir quelque injure ou fraude ? » (I Cor 6, 7)

 

Ce pacifisme est illustré par l’exégèse des deux glaivescela suffit ») et l’oreille de Malchus (Malik) à Gethsémani.

 

 

          « La parole de Dieu est vivante et efficace, plus tranchante qu'une épée quelconque à deux tranchants, pénétrante jusqu’à partager âme et esprit, jointures et moelles; elle juge les sentiments et les pensées du cœur. » Hb 4, 12 Paul de Tarse

 

 

Le prologue à la cause 23 du Décret (1139) de Gratien

 

 

 

 

          Gratien cite les versets ci-dessus et d’autres pour conclure qu’à leur lecture « la guerre est un péché »

                Il nuance cependant ensuite :

                      - Stricto  sensu  la  prohibition  de renoncer aux                      armes ne s’adresse qu’aux clercs (q. 8).

                      - Le   sens  littéral,  «  l’extérieur  du  corps  »   ne                      convient pas pour l'interprétation de ces versets,                     mais le  sens moral  de la « la vertu de la patience                      de l’âme » (q. 1, c. 2).

                      Gratien   utilise   ici    la   scolastique,    méthode

                    dialectique  consistant  à  présenter  le pour et le                      contre comme le feraient deux interlocuteurs.

 

 

 

La « guerre juste » des canonistesfondée sur le droit romain,

formalisée par Augustin d’Hippone (†430)

 

 

Pour qu'une guerre soit juste, elle doit présenter les quatre caractéristiques suivantes :

  1. Quelle soit proclamée par l’autorité légitime,
  2. Quelle ait pour objet de défendre ou récupérer un territoire d’une attaque extérieure [pour la croisade, l’argument du recouvrement de la Terre sainte chrétienne],
  3. Mais aussi de punir l’agresseur et réparer son injure (ultio),
  4. Quelle présente une rectitude d’intention qui n’exclut pas la patience, la bienveillance, ni même l’amour envers l’ennemi.

 

La guerre juste glisse vers la guerre sainte

après 391 où le christianisme devient

la religion officielle de l’empire romain

 

 

Pour saint Augustin, l’autorité épiscopale peut demander au pouvoir civil d’user de la force pour réprimer l’hérésie, rétablir l’ordre moral ou défendre la hiérarchie de l’Eglise. La guerre juste glisse ainsi vers la guerre sainte.

 

 

Le cardinal saint Pierre-Damien contre le

choix des papes grégoriens, ses élèves

 

 

Les papes, partisans de la réforme grégorienne, proclament le combat aux Impériaux, dans le cadre de la querelle des Investitures. Ces actions présentent les caractères suivants :

  • guerre juste
  • guerre du Christ
  • pour la préservation de la liberté de l’Eglise (libertas Ecclesiæ).

C’est un pape grégorien, Urbain II qui proclame la première croisade.

  

Le désaccord sur l'utilité de la croisade est exprimé dans la lettre de Pierre Damien à l’évêque de Fermo (1062)

  • C'est le diable qui déclenche les violences entre le Sacerdoce et l’Empire
  • Le clergé ne doit pas se mêler de guerre: « Le roi Ozias fut frappé de la lèpre pour avoir usurpé l’office sacerdotal. Que ne mériterait pas le prêtre qui prend les armes, réservées en exclusif aux laïcs ? »
  • La théorie des deux glaives : « Il faut distinguer les fonctions respectives qui reviennent à l’Empire et au Sacerdoce. Le roi doit user des armes du siècle et l’évêque doit ceindre l’épée de l’esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu. »

« Le Fils de Dieu descendit du ciel par la charité et il vainquit le diable par la patience. Munis de ces deux vertus, les apôtres ont fondé l’Eglise que leurs champions, les saints martyrs, ont propagée par leur triomphe sur les supplices et la mort. Il n’est jamais permis de saisir les armes de fer pour la foi universelle dont vit l’Eglise. Pourquoi donc des troupes protégées de hauberts et armées d’épées se déchireraient-elles pour les biens terrestres et transitoires de l’Eglise ? Quand prévalent les saints, jamais les hérétiques ou les idolâtres ne sont exterminés, mais au contraire ces mêmes saints acceptent d’être exterminés pour la foi catholique. »

 

 

La critique des ordres militaires

 

  • Le Cistercien, Isaac de l’Etoile ironise sur son maître Bernard de Clairvaux: « Il est né un monstre nouveau, une nouvelle chevalerie qui, selon un mot d’esprit, obéit au cinquième Evangile. Son but est, à coups de lances et de bâtons, de pousser les incroyants vers la foi, et de spolier licitement et de trucider religieusement celui qui ne porte pas le nom du Christ. Ils appellent, en outre, martyrs ceux, parmi eux, qui tombent au cours de leurs pillages. N’autorisent-ils pas la cruauté du Fils de la perdition qui doit se jeter dans l’avenir sur les chrétiens ? Comment lui serait-il objecté la mansuétude du Christ, sa patience et sa façon de prêcher ? » (48 8)
  • Jean de Salisbury : « Les Templiers, censés consacrer le sang du Christ, versent du sang humain. » Policraticus (VII 21 cclxvi)

 

La tirade impitoyable de Gautier

Map contre les Templiers

 

 

Il faut préférer le pacifisme évangelique à la guerre juste:

 

« C’est à Jérusalem qu’ils prennent le glaive pour protéger le christianisme, là où Pierre s’était vu interdire de le prendre pour défendre le Christ. C’est là aussi que l’apôtre apprit à chercher la paix par la patience. Je ne sais pas, par contre, qui a enseigné aux Templiers à vaincre la force par la violence (vim vi repellere). Ils prennent le glaive et ils périront par le glaive! (Mt 26, 52). Eux affirment, en revanche : toutes les lois et tous les droits permettent de repousser la violence par la violence. » Item aliud mirabile XX

 

« Le Christ, pourtant, renonça à une telle loi. Au moment où Pierre frappait son coup, il s’interdit de commander des légions d’anges (Mt 26, 53). Or, les Templiers ne semblent pas avoir fait le meilleur choix. En effet, sous leur protection, nos frontières en Terre sainte ne cessent de reculer et celles de nos ennemis d’avancer. C’est par la parole, et non pas par la voix du glaive, que les apôtres conquirent Damas, Alexandrie et une grande partie du monde, que depuis l’épée a perdue. David, qui avançait sur Goliath, lui disait: « Tu viens contre moi avec des armes, et moi je viens à toi au nom du Seigneur afin que toute cette multitude sache que le Seigneur ne sauve pas par le glaive. (I Sam 17, 45-47)” » idem.

 

Vocation exclusivement spirituelle du clergé

  

 

Adam (†1221), abbé cistercien de Perseigne, revenu déçu de la croisade qu’il a prêchée, critique les prêtres désertant leurs paroisses :

  • « S’ils étaient de bons bergers et non pas des mercenaires, ne préféreraient-ils pas mourir pour leurs brebis plutôt que de leur extraire le lait et la laine afin de partir en croisade ? » 
  • « Si au soin des églises dont ils ont la charge, ils préfèrent la croisade, ils ne seront pas sauvés, parce qu’ils n’aiment pas ceux qu’ils laissent tomber de la sorte. Ils sont dépourvus de charité ! »
  • « Le Christ n’a pas versé son sang pour acquérir Jérusalem, mais les âmes qu’il faut sauver. »

 

Conclusion à la 1ère partie

 

  • Les penseurs oscillent entre deux pôles :

– La guerre juste qui considère légitime de reconquérir Jérusalem et les lieux saints chrétiens à l’Islam.

– Le pacifisme évangélique qui empêche toute violence, surtout au clergé.

 

  • La théorie des deux glaives: l’épée de fer contre l’épée de la parole de Dieu, et la prédication.

Deuxième partie

 

Les critiques partielles contre la croisade

 

 

Un effort de guerre soutenu et d’innombrables sacrifices consentis

 

     - Lettre de Saladin (1191): « Pour défendre leur religion, les Francs n’ont pas hésité à prodiguer la vie et le courage et à procurer à leurs troupes impures toutes sortes d’armes de guerre. Et tous ces efforts, ils ne les ont fournis que par pur zèle envers Celui qu’ils adorent, pour défendre jalousement leur foi. » 

 

     - Sa dimension eschatologique:

  • la mort de soi en Terre sainte et la Résurrection de l’âme
  • la Parousie, second avènement du Christ, à Gethsémani.

     - Une exigence d’autant plus grande pour des chrétiens qui ont tout quitté pour cette guerre qui devrait les sanctifier. Idéal et critiques.

 

Le providentialisme : Peccatis exigentibus

 

- À la guerre, il faut vaincre pour convaincre. Or, les grandes croisades se sont souvent soldées par des défaites et elles ont rarement obtenu des gains territoriaux.

 

-  La conception médiévale de l’histoire est cyclique et elle est souvent reprise de l’Ancien Testament.

Trois phases successives :

  1. Piété et vertu = grandeur davidique.
  2. Idolâtrie et péché = décadence et déportation (Egypte, Babylone).
  3. Après la destruction, la restauration à la suite d’une conversion collective.

 

Mais des auteurs lucides aussi sur la nature et sur la liberté humaines.

Le chanoine de Würzburg (1147).

 

« Les intentions des hommes de cette troupe hétéroclite étaient variées. Les uns, avides de nouveautés, voulaient découvrir des terres étrangères. D’autres, poussés par la pauvreté et souffrant de privations chez eux, désiraient se battre non seulement contre les ennemis de la croix, mais contre les amis des chrétiens, pour fuir la misère. D’autres, enfin, souhaitaient se libérer du poids de leurs dettes, du service dû leur seigneur ou des peines pour leurs crimes : ils simulaient un saint zèle, mais ils s’empressaient de partir pour échapper aux poursuites. À peine en trouvait-on quelques-uns qui n’avaient pas fléchi le genou devant Baal, mais que guidait une intention sainte et salutaire. Ceux-ci étaient prêts à verser leur sang par amour de la majesté divine et pour le bien du Saint des saints. Laissons toutefois cette affaire à l’examen de Dieu seul, qui est l’unique à pouvoir sonder les cœurs et à les connaître »

 

 

La violence

 

Albert, chanoine d’Aix-la-Chapelle contre les pogroms de l’avant-croisade en Rhénanie (« égarement de l’esprit ») et contre les massacres de Jérusalem de 1099.

 

« L’on peut croire que la main du Seigneur agissait ici contre les pèlerins [tués en Hongrie]. Ils avaient, en effet, péché en sa présence par leurs horribles impuretés et par leur fornication. De plus, la suite d’un grand carnage, ils avaient tué les juifs exilés, certes ennemis du Christ. Mais ils ne l’avaient pas fait pour lui rendre justice, mais parce qu’ils convoitaient leur argent. Dieu est un juste juge qui ne commande à personne de plier sous le joug de la foi catholique contre son gré et par coercition. »

 

 

La cupidité: le sac de 1204

 

« Dès qu’ils eurent pris Constantinople, les Francs jetèrent par terre le bouclier de Dieu, qu’ils avaient porté jusqu’alors, pour se protéger du bouclier du diable », Bernard, trésorier de Corbie.

 

« Tant que nous étions solidaires, humbles et pieux, nous atteignions nos objectifs, mais dès que nous sommes, de pauvres que nous étions, devenus riches en émeraudes, rubis, pourpre, soieries, terres, jardins, très beaux palais en marbre, dames, pucelles, dont de bien belles, nous en avons oublié Dieu. Et Dieu nous a oubliés, lui aussi, parce qu’il ne se souvient pas de celui qui ne pense pas à lui_», Hugues de Berzé.

 

 

La sainte colère d’Innocent III

 

« Nous vous avions délégué notre pouvoir, non pas pour conquérir l’Empire de Constantinople, mais pour défendre ce qui nous reste en Terre sainte et pour récupérer, si Dieu le veut, ce que nous y avons perdu. Et cela non pas pour obtenir des richesses temporelles, mais éternelles […]. Non contents d’avoir arraché ses richesses à l’empereur et leurs dépouilles aux princes et à leurs sujets, ils s’en sont pris aux trésors des églises et, pire encore, afin de voler leurs biens, ils ont arraché les tables en argent de leurs autels, qu’ils ont brisé, en profanant leurs tabernacles et leurs croix, pour en piller les reliques. »

 

 

La dîme saladine et l’invention de la fiscalité de guerre

 

               Dans la France de Philippe Auguste

 

- Etienne de Tournai, futur évêque d’Orléans contre les « redevances indues » :

  • « Le Très-Haut qui n’accepte pas qu’on lui sacrifie des rapines » ( cf. Is 61, 8).
  • « Si vous tourmentez les chrétiens, le Christ ne sera jamais libéré »

- Pierre de Blois :

  • « Jamais la spoliation des pauvres ni le pillage de l’Eglise n’ont mené à une fin heureuse. »

               Le tollé contre Richard Cœur de Lion

 

- Raoul de Diss :

  • « Une dîme générale sur les biens meubles fut perçue en Angleterre pour subventionner la croisade de Jérusalem. Aussi bien le clergé que le peuple fut effrayé par la violence de cette exaction qui, sous les dehors d’une aumône, cachait le vice de la rapacité. ! »

- Roger de Howden :

  • « Le roi Richard fit jeter en prison les récalcitrants et il les tint dans les chaînes jusqu’à ce qu’ils eussent versé jusqu’au dernier quart de denier. »

 

 

- Geoffroi de Coldingham :

  • « Une taxe d’autant moins salutaire que sa racine était la cupidité et qu’elle n’était pas soutenue par l’autorité que donne la piété.”

 

La luxure. L’échec de 1147 :

cherchez la femme !

 

- Henri de Huntingdon :

  • « Leur incontinence monta jusqu’à Dieu. Elle se manifestait dans leur fornication au su de tous, et même dans leur adultère, mais aussi dans leurs pillages et dans toutes sortes de crimes. Tout cela déplut profondément à Dieu »

- Guillaume de Newburgh :

  • « Les camps sont appellés castra à cause de leur castration (castratio) de la luxure. Or, les nôtres n’étaient justement pas chastes (casta), alors que beaucoup, par une licence déplorable, y suaient la débauche de tous leurs pores. »

 

 

Aliénor d’Aquitaine et l’affaire d’Antioche

 

 

 

Le poulain corrompu dans sa colonie pénale :

traître, âpre au gain, mou...

 

Le patriarche Héraclius selon Raoul le Noir :

  • « J’ai assisté moi-même à l’arrivée en Occident du patriarche, qui quémandait de l’aide. Il était porté en grande pompe sur une litière d’argent et d’or, dont le balancement faisait retentir des clochettes de façon dégoûtante. Le tout dégageait des odeurs multiples et variées qui collaient aux vêtements et qui donnaient mal au cœur. J’ai pu voir sa chapelle, et je n’en verrai plus jamais une de si luxueuse. Aucun prélat occidental n’use d’un tel apparat. S’ils s’adonnaient là-bas à un faste comme celui que nous avons pu voir ici de nos propres yeux, nous comprenons que Dieu ait manifesté tant de colère à leur égard. Or, les voyageurs revenus de leur pays décrivaient des plus grandes extravagances encore. »

 

Conclusion à la deuxième partie

 

  • Ces critiques ne sont pas radicales, fondamentales, essentielles, comme les précédentes, elles ne mettent pas en cause la croisade, mais les transgressions de ses participants que se devraient moralement impeccables.
  • Leurs péchés attirent la punition divine de la défaite contre l’Islam.
  • Ces critiques sapent le moral des croisés. Elles mettent en cause la pureté de l’idéal de croisade.

 

Troisième partie

 

La mission avec et contre

la croisade

 

 

Un paradoxe: la croisade accroît la

connaissance de l’Autre

 

 

Respect des combattants aristocratiques (Saladin et Richard Cœur de Lion) l’échange pendant la trêve.

 

          La littérature profane :   

 

     Graf Rudolf (1170-1185) : le héros, déçu par la cruauté du roi de Jérusalem: « Il pille et il brûle la terre de païens, s’appliquant à les nuire plutôt qu’à agir avec justice. Il leur inflige de tout détruire et d’égorger les femmes et les enfants comme du bétail. » Rudolf devient mercenaire (à l’épée épointé) de l’émir d’Ascalon, dont il épouse la fille après sa conversion à Byzance.

 

      Usâma ibn Munquidh (1095-1188) et ses « amis templiers ».

 

     - Sa prière à la maison du Temple: mosquée al-Aqsa. La violence du croisé et les excuses des Templiers: « C’est un étranger arrivé ces jours-ci des pays francs! »

 

 

 

Vers 1140, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, fait traduire à Robert Ketton, chanoine de Pampelune, le Coran. Le musulman n’est plus perçu comme polythéiste.

 

     - Prologue à son -Contre la secte des sarrasins- : « Je ne vous attaque pas, comme le font si souvent les nôtres, avec les armes, mais avec les mots, non pas par la force, mais par la raison, non pas dans la haine, mais dans l’amour. Un tel amour doit prévaloir entre ceux qui rendent culte au Christ et ceux qui le détestent, tout comme il prévalait entre les apôtres et les païens de leur époque, qu’ils invitaient à embrasser la loi du Christ. »

 

 

L’abbé de Cluny est le protecteur d’Abélard, défenseur de la conscience des bourreaux du Christ. Le salut du païen ? Pas encore « tolérance ».

 

 

 

 

 

François et le sultan al-Kâmil (1219)

 

 

Thomas de Celano parle de son « désir brûlant de martyre » : « À un rapport de force […], il a cherché à substituer un témoignage de faiblesse et de soumission » « poussé le cas échéant jusqu’au martyre », A. Vauchez.

 

Le chapitre XVI de la règle franciscaine de 1221 sur le

frère partant chez les sarrasins

 

 

  • Il demandera la permission à son ministre, qui ne s’y opposera pas s’il le considère apte pour cette mission.
  • Arrivé à destination, il peut adopter deux attitudes :

                       - soit il vit de façon exemplaire parmi les musulmans, tout en confessant discrètement sa foi

                - soit il leur prêche au grand jour la Toute-puissance de Dieu, la Trinité et la divinité du Christ, les poussant au baptême. Les passages des Evangiles qui suivent insistent sur la persécution du chrétien sur la supériorité du salut de l’âme sur la vie du corps: le martyre n’est pas exclu.

 

1220: les cinq Mineurs sont décapités à Marrakech.

 

Le franciscain anglais Roger Bacon (c. 1220-c. 1292) :

 

                      - Il préconise l’apprentissage de l’arabe pour entreprendre un dialogue sincère avec les musulmans.

                      - « Ils conservent dans leur religion beaucoup de paroles des Evangiles […]. Ils tiennent le Christ pour l’un des plus grands prophètes, nés de la Vierge Marie sans intervention d’homme, mais par le seul souffle du Saint-Esprit. »

 

Roger condamne sans appel la croisade, qui gâche la mission « Mener la guerre contre les sarrasins ne sert à rien […]. Les incroyants ne se convertissent pas pour autant. Au contraire, ils sont tués et envoyés en enfer. Les survivants et leurs enfants développent davantage de haine contre la foi chrétienne, dont ils s’éloignent à jamais. Ils sont encore plus déterminés à nuire aux chrétiens. C’est pourquoi, un peu partout, nous avons rendu impossible la conversion des sarrasins. »

 

 

 Le Catalan Raymond Lulle (1232-1316),

tertiaire franciscain

 

 

Il fonde l’école de langues de Miramar à Majorque; il prêche au Maghreb, où il est lapidé et emprisonné, et en Terre sainte.

 

« Seigneur, la Terre sainte ne doit être conquise autrement que de la façon dont vous et vos apôtres l’avez conquise : amour, prières, versement de larmes et effusion de son propre sang. Seigneur, le Saint-Sépulcre et la Terre sainte d’outremer se laissent mieux prendre par la prédication que par la force des armes. Que les saints chevaliers deviennent auparavant religieux, qu’ils se dotent du signe de la croix et qu’ils se laissent remplir de la grâce du Saint-Esprit afin de prêcher la vérité de votre Passion aux infidèles. Qu’ils versent, par votre amour, toutes les larmes de leurs yeux et tout le sang de leur corps, ainsi que vous l’avez fait par amour envers eux. »

 

 

Conclusion à la 3e partie

 

 

  • La croisade ne semble pas alors toujours incompatible avec la mission: impossibilité ou presque de prêcher en terre musulmane.
  • Elle n’implique jamais le baptême forcé, interdit par les premiers conciles, repris par Gratien.
  • Connaissance de l’islam et ouverture franciscaine. Le martyre du missionnaire: être tué plutôt que tuer pour convertir.

 

Conclusion générale

 

 

On laissera le mot de la fin, bien malgré lui, au dominicain Humbert de Romans, hostile à tous ceux « qui dissuadent d’emprunter le chemin du saint pèlerinage qui mène au ciel ». Son opuscule au Concile de Lyon II (1274), pour relancer la croisade et la mission, dresse la liste de leurs critiques.

 

Trois arguments sur son essence et cinq arguments "accidentels" :

  1. Pacifisme du Christ (« remets l’épée dans le fourreau ») et de l’acceptation de la mort par les martyrs (Maurice et la légion de Thèbes).
  2. La guerre juste: il faut se défendre des sarrasins, mais nullement les agresser en premier
  3. Providentialisme: Dieu ne souhaite pas la croisade alors qu’il permet tant de malheurs à ses participants: noyade de Frédéric Barberousse, la captivité de Saint Louis en Egypte et sa mort à Tunis.
  4. À force de lutter contre les sarrasins, on en néglige les juifs, les païens mongols et les idolâtres baltiques.
  5. « La violence ne pousse pas les sarrasins vers la conversion, mais au contraire vers le rejet de la foi chrétienne […]. Quand nous les tuons, nous les envoyons en enfer au détriment de la charité. »
  6. Forte mortalité « par naufrage, épidémie ou guerre » : « La mort du roi Louis IX fut un mal irréparable, alors que sa vie était si utile pour l’Eglise. »
  7. Disproportion des moyens entre les sarrasins et les croisés qui combattent sur une terre lointaine : problèmes de ravitaillement et de peuplement.
  8. Impopularité de la dîme saladine et difficulté de la percevoir.

 

Un fil d’Ariane jusqu’à nos jours

la fin du Moyen Âge

 

 

John Gower (c. 1330-1408), Confessio amantis : « Est-il juste de traverser la Méditerranée pour combattre et tuer les sarrasins? […] Je cite l’Évangile, mon fils, et j’y lis que l’on doit “prêcher” et “souffrir” pour la sainte foi. Je n’y trouve pas “tuer”. Par sa  propre mort, le Christ a payé pour nous libérer par pure charité. »

 

 

 

Ci contre : John Gower en archer pointant le monde et ses quatre éléments

Vox Clamantis and Chronica Tripertita,

Glasgow Univ. Lib., MS Hunter 59 (T.2.17) f. 6v

 

 

Colonisation de l’Amérique

 

 

 

 

La lutte du Dominicain Bartolomé de las Casas (1474-1566), évêque de Chiapas, pour les droits des Indiens. Il supplie Pie V d’excommunier « quiconque justifierait la guerre contre les infidèles sous prétexte de leur idolâtrie ou de favoriser qu’on leur prêche […] : les païens ne nous ont jamais fait le moindre mal ». Dans la controverse de Valladolid, contre Juan de Sepúlveda, il souligne l’absurdité de la notion de guerre sainte. Aussi impossible est de justifier l’asservissement des « barbares ». Il soutient le devoir moral des païens de défendre leurs dieux.

 

Ci contre : Tableau anonyme du XVIe siècle.

Archivo de las Indias (Séville)

 

Et plus récemment :

 

 

Des minorités agissantes qui ont rappelé aux chrétiens que l’Evangile contient un message de paix.

 

  • Jean-Paul II a demandé pardon à Athènes pour le sac de 1204. Lors de l’année sainte 2000, il l’a peut-être fait aussi pour la croisade dans son ensemble :

« Nous ne pouvons manquer de reconnaître les infidélités à l’Evangile qu’ont commises certains de nos frères, en particulier au cours du second millénaire. Demandons pardon pour les divisions qui sont intervenues parmi les chrétiens, pour la violence à laquelle certains d’entre d’eux ont eu recours dans le service de la vérité, et pour les attitudes de méfiance et d’hostilité adoptées parfois à l’égard des fidèles des autres religions. »