LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE I.

 

 

MARIGNI FILS, LAIGNEVILLE, MONTMORENCI, TEMPLIERS.

 

MARIGNI.

Avec vous, chers amis, j'ai voulu partager

Du jugement fatal l'honorable danger.

J'ai rempli mon devoir ; le ciel m'en, récompense :

Déjà toute la cour croit à notre innocence ;

La reine, nos amis, d'illustres protecteurs

Ont imposé silence à nos accusateurs.

D'un pieux dévouement ô précieux salaire !

Vos périls et les miens ont effrayé mon père.

Il cherche à réparer nos malheurs et ses torts ;

Nous sommes protégés surtout par ses remords ;

Pardonnez-lui : je sais combien ils sont sincères.

Que ne tente-t-il pas ? discours, larmes, prières,

Et même, ce qu'un fils ne saurait approuver,

Il s'accuse lui-même, afin de nous sauver.

Pourvu que cet arrêt venge notre innocence,

Abandonnons nos biens, au monarque, à la France ;

Partons ; le fer suffit à de braves soldats ;

Jusqu'aux murs de Sion reportons les combats ;

Et là, par de hauts faits rappelant la victoire,

Faisons-nous des trésors de vertus et de gloire ;

Vrais trésors que les rois, qui croyaient nous flétrir,

Pourront nous envier, mais non pas nous ravir.

 

LAIGNEVILLE.

O mon cher Marigni, quelle erreur vous abuse !

Quand de l'inquisiteur la haine nous accuse,

Qu'importe qu'à ses yeux nous soyons innocents ;

Que nous ayons pour nous, des protecteurs puissants ?

Ce prêtre satisfait son orgueil et sa haine ;

Et, bravant nos amis, nos parents et la reine,

Il croit par ses refus affermir son pouvoir :

J'ai lu dans ses regards, et je n'ai plus d'espoir.

 

 

MARIGNI.

Vous n'avez plus d'espoir !... vous en auriez peut-être

Si tantôt vous aviez entendu le grand-maître ;

On nous reconduisait ; de tous les chevaliers,

Le grand-maître et moi seul, nous restions les derniers.

Avant de prononcer la fatale sentence,

Les juges ont permis qu'il prît notre défense ;

Sans courroux, sans audace, et sans être abattu,

Avec la dignité qui sied à la vertu,

Il réfute aisément les lâches impostures

Qu'exhalent contre nous quelques bouches impures ;

Il prouve qu'en tous temps les vertus et l'honneur

Pouvaient seuls de notre Ordre assurer le bonheur. 

Nous sommes innocents, disait-il, nous le sommes ;

« Nous prenons à témoin Dieu, les rois et les hommes ; 

« Contre nos oppresseurs nous aurons attesté

« Et le siècle présent et la postérité.

 « Que le fer des bourreaux nous arrache la vie ;

« Qu'ils épuisent sur nous toute leur barbarie ;

« On n'entendra de nous que ces nobles accents :

« Nous sommes innocents, nous mourons innocents

« Que le feu des bûchers s'élance et nous dévore ;

« Au milieu des bûchers nous le dirons encore ;

« Et, peut-être, du fond des tombeaux gémissants ,

« S'élèveront ces cris : nous étions innocents! »

De nos juges alors la nombreuse assemblée

Paraît à nos regards interdite et troublée ;

S'ils hésitent d'absoudre, ils n'osent condamner :

On eût dit que sur eux ils entendaient tonner

Les accents éternels, la colère céleste ;

Quand notre illustre chef, toujours calme et modeste,

Daigne parler encore et les interroger.

Enchaîné devant eux, il semble les juger :

Telle est. de la vertu l'autorité suprême.

Mais cependant on veut que je sorte moi-même :

Il reste seul. Amis, croyez qu'en cet instant

Notre innocence obtient un triomphe éclatant.

 

MONTMORENCI.

Vous ne savez donc pas quel péril nous menace ?

D'indignes Templiers ont obtenu leur grâce.

 

MARIGNI.

Des Templiers !

 

MONTMORENCI.

                          Oui, ceux que non loin de Paris,

Au même instant que nous le même ordre a surpris :

Tandis que le grand-maître, avec tant d'éloquence,

Devant le tribunal prenait notre défense,

Eux-mêmes arrivaient : d'autres juges soudain

Les ont interrogés et menacés en vain.

L'honneur les soutenait... D'abord de la torture

Leur constance a bravé les tourments et l'injure ;

Mais enfin ils ont fait des aveux mensongers

Dont la honte s'attache à nos propres dangers.

 

MARIGNI.

En êtes-vous certain ? Quoi ! cette ignominie

Flétrirait désormais notre honneur et leur vie ?

 

MONTMORENCI.

Pour prix de ces aveux ils sont en liberté :

Faut-il vous les nommer ?

 

MARIGNI.

                                           Affreuse lâcheté !

Que le grand-maître... il vient... Quelle noble assurance !

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE II.

 

 

MARIGNI FILS, LAIGNEVILLE, MONTMORENCI, LE GRAND-MAITRE, TEMPLIERS.

 

MONTMORENCI.

Dites-nous notre sort,

 

LE GRAND-MAITRE.

                                  Vous le saviez d'avance.

 

LAIGNEVILLE.

Quel que soit notre sort, vous nous trouverez tous

Préparés à souffrir, à mourir avec-vous.

Mais enfin, quel est-il ? n'osez-vous nous le dire ?

 

MONTMORENCI.

L'horreur de l'échafaud ?

 

LE GRAND-MAITRE.

                                        La gloire du martyre.

Remercions le ciel qui nous l'accorde à tous.

Que le feu des bûchers s'allume autour de nous ;

Que le fer de la mort s'agite sur nos têtes,

Je suis prêt ; l'êtes-vous ?... Oui, je vois que vous l'êtes.

Grand Dieu ! je te bénis. Tu répands dans nos cœurs

Un courage plus grand encore que nos malheurs.

Tu veux que l'univers reçoive un saint exemple :

Ces soldats de la foi, ces défenseurs du temple,

Justement préférés, sont dignes de l'offrir

A ceux qui pour ton nom doivent un jour mourir. 

O dignes chevaliers ! amis, puisque la vie

Ou plus tôt ou plus tard doit nous être ravie,

Bénissons nos périls : c'est par eux qu'aujourd'hui

Dieu marque le chemin qui nous ramène à lui :

Mais quoi ! dois-je affliger encore votre constance ?

Outrageant l'honneur, l'Ordre, et leur propre innocence,

 

D'indignes chevaliers, par des aveux menteurs,

Ont servi les complots de nos accusateurs !

Malheureux ! je les plains. Ils rachètent leur vie !

Et c'est par le mensonge et par l'ignominie :

Ils vivront !... dans le crime ou dans le repentir !

Amis ! par notre mort il faut les démentir ;

Bravons de nos bourreaux la fureur criminelle :

Que nous enlèvent-ils ? la dépouille mortelle.

Ils peuvent de nos jours éteindre le flambeau :

La vertu brille encore au-delà du tombeau.

Je sens qu'elle survit à notre heure suprême,

Pour l'immortalité , pour le ciel, pour Dieu même. 

O consolant espoir ! supplice glorieux !

Mes amis ! l'échafaud nous rapproche des cieux.

 

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE III.

 

 

MARIGNI FILS, LAIGNEVILLE, MONTMORENCI, LE GRAND-MAITRE, LE CONNÉTABLE, TEMPLIERS.

 

LE CONNÉTABLE.

Restez. Le roi l'ordonne, et lui-même s'avance :

Il vous permet encore d'implorer sa clémence.

La reine, vos amis veillaient sur votre sort ;

Le roi peut révoquer l'arrêt de votre mort.

Il suffit que pour tous le grand-maître supplie;

Vivez pour l'amitié, la gloire, la patrie.

Cédez. Tous vos amis l'exigent. Il le faut.

J'étais prêt à vous suivre au pied de l'échafaud :

Devant toute la cour, devant toute la France,

En ce moment cruel, j'aurais, par ma présence,

Avoué pour amis des proscrits vertueux :

Oui, j'aurais mis ma gloire à paraître auprès d'eux.

Mais des bontés du roi nous avons l'assurance ;

Il ne tiendra qu'à vous d'obtenir sa clémence.

Ne la dédaignez pas. Ce serait à regret

Que le roi...

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE IV.

 

 

MARIGNI FILS, LAIGNEVILLE, MONTMORENCI, LE GRAND-MAITRE, LE CONNÉTABLE, LE ROI, SUITE.

 

LE ROI.

                         Vous avez entendu votre arrêt.

Vous direz-vous encore innocents ?

 

LE GRAND-MAITRE.

                                                          Nous le sommes.

 

LE ROI.

Vous êtes condamnés.

 

LE GRAND-MAITRE.

                                    Au tribunal des hommes.

 

LE ROI.

Quoi donc ! vous accusez, et même devant moi,

Un tribunal auguste, organe de la loi !

Dès l'instant où le juge a prononcé pour elle,

Qui se dit innocent se déclare rebelle.

 

LE CONNÉTABLE, (au grand-maître. )

Il vous reste un espoir.

 

LE GRAND-MAITRE.

                                    Il nous reste à mourir.

 

LE CONNÉTABLE.

A la bonté du roi n'osez-vous recourir ?

La clémence est le droit de son pouvoir suprême :

 

Vous admettre à ses pieds, c'est vous l'offrir lui-même.

 

LE GRAND-MAITRE, (au roi.)

Les augustes bienfaits d'un prince tout-puissant

Sont pour le seul coupable et non pour l'innocent :

Accepter un pardon, c'est avouer un crime.

Par cette lâcheté nous perdons votre estime ;

L'innocence à ce point ne peut s'humilier.

N'avons-nous que la mort pour nous justifier ?

Nous demandons la mort.

 

LE ROI.

                                         Des juges unanimes

De votre Ordre accusé reconnaissent les crimes ;

Satisfait des aveux que font plusieurs de vous,

Du glaive de la loi je détourne les coups ;

J'aime à vous pardonner, je vous offre la vie.

 

LE GRAND-MAITRE.

Sire, offrez-nous l'honneur. Que votre voix publie

Que malgré cet arrêt nous sommes innocents,

Vous trouverez encore nos cœurs reconnaissants ;

Une grâce n'est rien, il nous faut la justice :

C'est notre jugement qui fait notre supplice.

Dépouillés de nos droits, persécutés, proscrits ;

Ne rencontrant partout que haine, que mépris ;

Si nous pouvons survivre à ce revers funeste,

Infortunés ! il faut qu'au moins l'honneur nous reste.

Assurez notre honneur, Sire, et de vos genoux,

Nous volons aux combats et nous mourons pour vous.

 

LE CONNÉTABLE, (à part.)

Avertissons la reine. Allons.

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE V.

 

 

LE GRAND-MAITRE, MARIGNI FILS, LAIGNEVILLE, MONTMORENCI, LE ROI, TEMPLIERS, SUITE.

 

LE ROI.

                                                             La cour entière,

Vos parents vos amis m'adressaient leur prière ;

Et moi-même, cédant au cri de la pitié,

Peut-être au souvenir d'une ancienne amitié,

J'ai dit : « Que leurs regrets désarment ma justice ;

« Oui, que devant son roi le grand-maître fléchisse ;

« Et je ne Vois en eux que des infortunés :

« Ils sont assez punis quand ils sont condamnés. »

Mais quoi ! vous imposez des lois à ma clémence !

Il faut que je proclame encore votre innocence !

Quel est donc cet orgueil ? N'exigerez-vous pas

Que vos accusateurs soient livrés au trépas ?

Que, flétrissant ma gloire et m'accusant moi-même,

J'abaisse devant vous l'honneur du diadème ?

Ah! c'en est trop. Pensez au sort qui vous attend ;

A votre repentir j'offre encore cet instant :

Acceptez ma clémence, ou craignez ma justice ;

C'est à vous de choisir.

 

LE GRAND-MAITRE.

                                    Qu'on nous mène au supplice.

 

LE ROI.

Marigni, votre père intercédait pour vous ;

J'ai voulu vous sauver, je pardonnais à tous.

Pensez au désespoir de votre père.

 

MARIGNI.

                                                          Ah ! Sire,

Vous attaquez mon cœur ; la douleur le déchire ;

 

D'un père infortuné je déplore le sort ;

Mais la vertu commande, et je marche à la mort.

 

LE ROI.

J'exerçais envers vous mon droit le plus auguste ;

J'étais trop généreux ; c'est l'instant d'être juste :

Je le serai sans doute ; ingrats... retirez-vous.

 

LE GRAND-MAITRE, (au roi.)

Dieu lit au fond des cœurs ; qu'il soit juge entre nous.

Aux chevaliers. )

Amis, c'est devant lui que nous allons paraître ;

Notre triomphe est prêt.

(Ils sortent. Le grand-maître reste le dernier sur la scène. )

 

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE VI.

 

 

LE ROI, LE GRAND-MAITRE, SUITE.

 

LE ROI.

Rappelez le grand-maître. (Le grand-maître se rapproche. ) Restez...

De votre sort plus, que vous j'ai frémi :

N'avez-vous rien à dire à votre ancien ami ?

 

LE GRAND-MAITRE.

Ah ! Sire, si j'osais...

 

LE ROI.

                                  Parlez, je vous l'ordonne.

 

LE GRAND-MAITRE.

Sire, je vous dirais que mon cœur vous pardonne.

Du haut de l'échafaud je promets à mon roi

De prier que le ciel pardonne comme moi.

Mais, Sire, le péril déjà vous environne :

Nos malheurs deviendront une dette du trône.

Un jour, peut-être, un jour... ô douleur ! ô regrets !

 

LE ROI.

Expliquez-vous...

 

LE GRAND-MAITRE.

                             Grand Dieu ! ne nous venge jamais !

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE VII.

 

 

LE ROI, Seul. )

Dans ce moment fatal quel sentiment l'anime ?

Est-ce fierté coupable ? est-ce vertu sublime ?

Quelle tranquillité ! quels accents ! quel maintien !

Cette paix de son cœur épouvante le mien !

Mais pour justifier la rigueur des supplices,

N'ai-je pas les aveux de ses propres complices ?

De nombreux chevaliers n'ont-ils pas devant moi

Répété les aveux... Quel est ce bruit ? Pourquoi ?...

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE VIII.

 

 

LA ROI, LA REINE.

 

LA REINE.

Sire, Sire, apprenez, voyez ce qui se passe :

Les nombreux chevaliers auxquels vous faisiez grâce,

A peine ont-ils connu le trop malheureux sort

Des autres templiers condamnés à la mort ;

Honteux d'être épargnés , et gémissant de l'être,

Tous se sont écriés ; « Imitons le grand-maître

« Si nous n'avons pas eu la force de souffrir,

« Réparons notre honneur, sachons encore mourir. »

J'ai vu leur désespoir, leurs remords magnanimes.

 

LE ROI.

Les mêmes qui de l'Ordre ont avoué les crimes !

 

LA REINE.

Devant l'inquisiteur tous se sont présentés ;

Pleurant sur leurs aveux, tous les ont rétractés :

J'admirais leur vertu : l'inquisiteur prononce ;

Et l'arrêt de leur mort est sa seule réponse.

Condamnés à périr, ils ne se plaignent pas ;

Ils nomment le grand-maître, et courent au trépas.

 

LE ROI.

Qu'entends-je ?

 

LA REINE.

                         Apprenez tout, Sire. Je suis certaine

Que la noirceur perfide, ou l'implacable haine

Avait au nom de l'Ordre armé les factieux,

Pour rendre l'Ordre entier criminel à nos yeux.

Oui, Sire, un ennemi cruel et redoutable

Croyait prouver ainsi que l'Ordre était coupable.

 

LE ROI.

Qui donc?

 

LA REINE.

                Épargnez-lui la honte et la douleur,

Sire : il ne travaillait qu'à son propre malheur.

 

LE ROI.

C'est le nommer... Il faut que soudain j'éclaircisse...

A un garde. ) Empressez-vous. Allez. Retardez le supplice.

 

LA REINE.

Ah! Sire, quel bienfait !

 

LE ROI.

                                      Quand je les ai livrés

Au tribunal vengeur des droits les plus sacrés,

Je ne prétendais point aider la calomnie,

Et ma sévérité n'est pas la tyrannie.

Je dis plus : si j'avais prévu que ces guerriers,

Par l'éclat dangereux de leurs refus altiers,

Forceraient le monarque, et réduiraient la France

A poursuivre contre eux une grande vengeance,

Je ne vous cache point que j'aurais hésité

A réclamer les droits de mon autorité ;

Mais lorsqu'ils ont donné le dangereux scandale

D'opposer au monarque une lutte rivale,

Puissent-ils mériter qu'un pardon généreux

Renverse l'échafaud déjà dressé pour eux !

Qu'ils s'engagent du moins au respect, au silence :

Et le monarque, heureux et fier de sa clémence,

Peut, aux yeux de son peuple, aux yeux de l'étranger,

Pardonner sans faiblesse et surtout sans danger.

 

LA REINE.

Les apprêts de la mort, l'appareil du supplice,

Acquittent ces guerriers envers votre justice :

Consultez votre gloire. Oui, vous pouvez pour eux,

Sans crainte et sans péril, vous montrer généreux ;

Soyez-le ; mais en roi dont toute la puissance

N'exige d'autre prix que la reconnaissance ;

 

Laissez de vos bienfaits ce noble souvenir ;

Qu'on dise : « Il pardonna quand il pouvait punir. »

 

 

LES TEMPLIERS

ACTE V

SCENE IX.

 

LE ROI, LA REINE, LE CONNÉTABLE.

 

LA REINE.

Eh bien! a-t-on sauvé ces guerriers magnanimes ?

 

LE CONNÉTABLE.

Hélas ! j'ai vu périr ces illustres victimes.

 

LA REINE.

Le roi leur pardonnait... nous espérions... mais quoi ?

L'inquisiteur a craint la clémence du roi.

 

LE ROI.

Ces guerriers ont péri !

 

LE CONNÉTABLE.

                                     Du moins dignes d'envie :

La gloire de leur mort explique assez leur vie.

 

LA REINE.

Vous aviez toujours dit qu'ils étaient innocents.

Un tribunal cruel... des ennemis puissants...

Ah! puisse sur eux seuls retomber l'injustice !

 

LE CONNÉTABLE, à la reine.)

Un immense bûcher, dressé pour leur supplice,

S'élève en échafaud, et chaque chevalier

Croit mériter l'honneur d'y monter le premier ;

Mais le grand-maître arrive : il monte, il les devance ;

Son front est rayonnant de gloire et d'espérance.

Il lève vers les cieux un regard assuré ;

Il prie, et l'on croit voir un mortel inspiré.

 

D'une voix formidable aussitôt il s'écrie :

« Nul de nous n'a trahi son Dieu, ni sa patrie.

« Français! souvenez-vous de nos derniers accents ;

« Nous sommes innocents, nous mourons innocents.

« L'arrêt,-qui nous condamne est un arrêt injuste ;

« Mais il est dans le ciel un tribunal auguste

« Que le faible opprimé jamais n'implore en vain ;

« Et j'ose t'y citer, ô pontife romain !

« Encore quarante jours !... je t'y vois comparaître. »

Chacun en frémissant écoutait le grand-maître :

Mais quel étonnement ! quel trouble! quel effroi!

Quand il dit : « O Philippe! ô mon maître! ô mon roi !

« Je te pardonne en vain, ta vie est condamnée ;

Au tribunal de Dieu je t'attends dans l'année. »

                            (Au roi.)

Les nombreux spectateurs, émus et consternés,

Versent des pleurs sur vous, sur ces infortunés.

De tous côtés s'étend la terreur, le silence :

Il semble que du ciel descende la vengeance.

Les bourreaux interdits n'osent plus approcher ;

Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher,

Et détournent la tête... Une fumée épaisse

Entoure l'échafaud, roule et grossit sans cesse.

Tout-à-coup le feu brille... A l'aspect du trépas,

Ces braves chevaliers ne se démentent pas.

On ne les voyait plus; mais leurs voix héroïques

Chantaient de l'éternel les sublimes cantiques ;

Plus la flamme montait, plus ce concert pieux

S'élevait avec elle et montait vers les cieux.

Votre envoyé paraît, s'écrie ; un peuple immense,

Proclamant avec lui votre auguste clémence,

Aux pieds de l'échafaud soudain s'est élancé...

Mais il n'était plus temps... les chants avaient cessé.

 

LA REINE.

Ah ! Sire, quelle erreur funeste, irréparable !

 

LE ROI.

Du moins j'ai cru toujours que l'Ordre était coupable.

Des jugements de Dieu craindrais-je l'équité ?

Je ne crains que l'arrêt de la postérité :

Elle juge à son tour les rois et leurs victimes,

Et les grandes erreurs passent pour de grands crimes.

 

 

FIN.