L'Ordre du Temple en Poitou Charentes

par  Julien VIALARD

 

      M. Jean-François LAVRARD. - Deux petits mots pour saluer les spécialistes des Templiers qui sont dans la salle. Nous avons la joie d'avoir avec nous le créateur du site « templiers.net ». Quand vous rentrerez chez vous, tapez « templiers.net » et vous trouverez tout ce qu'il faut sur les Templiers. C’est un site vraiment très intéressant. Un représentant du GIET : le Groupement des Etudes Templières, est dans la salle également.

 

     Maintenant nous accueillons Julien VIALARD qui a un an d'avance sur Sabine puisqu’il a soutenu sa maîtrise l'année dernière. Son sujet de mémoire était « les Templiers en Poitou-Charentes ». Julien était à la faculté d’Histoire alors que Sabine était à la faculté d'Histoire de l'Art. Les deux approches vont donc être très différentes.

  

     M. Julien VIALARD. - Merci, petit détail complémentaire, j'ai soutenu mon Master Recherche il y a non pas un an mais deux ans, sur les Templiers en Poitou-Charentes. Précédemment, j’ai fait un Master 1 sur les Templiers en Poitou, donc Vienne et Deux-Sèvres. Je vous parlerai de l’ensemble de la région Poitou- Charentes.

 

Le sujet est pour moi un peu difficile, je vous l'avoue, parce que je dois compiler 300 pages d'étude en trois quarts d’heure ou une heure, c'est assez compliqué mais je devais relever le défi. Je vais donc essayer de ne pas parler trop vite et d'être compréhensible par tous.

 

Quand j’ai commencé mon étude j'ai remarqué tout de suite que la bibliographie était exceptionnelle. On a écrit tout et n'importe quoi sur le Temple, des choses intéressantes, des choses qui ont fait avancer sur l'étude de l’Ordre mais aussi des choses qui sont pour le moins fantaisistes, et la région Poitou-Charentes a aussi ses exemples.

 

     J'en prendrai un, un livre qui est disponible à la bibliothèque de Poitiers, qui s'appelle « Les Templiers, ces grands seigneurs au blanc manteau ». Ce livre développe une grande théorie : les Templiers auraient découvert l’Amérique, ils auraient eu deux colonies, au Pérou et au Mexique. Pourquoi cette idée assez saugrenue ? C’est que La Rochelle est une cité portuaire, les Templiers y étaient présents et ils y avaient deux bateaux ; ces bateaux auraient mené la liaison avec le nouveau monde. Cette théorie est assez partisane, je fais partie de ses détracteurs et j'espère que vous aussi en êtes.

 

      Au niveau de l’étude, j'ai remarqué —et tout le monde l’a noté— que la région de la langue d’oïl a été délaissée. On a bien eu un regain d'intérêt pour le Temple dans les années 70 mais les études concernaient avant tout le sud, notamment les grandes études sur le Languedoc-Roussillon, alors que dans le nord on n’a vraiment que deux grandes études sur la structure de l'Ordre : une étude en Normandie et une autre sur le Diocèse de Langres.

 

      Concernant notre région, une thèse a été faite sur les Hospitaliers par Elizabeth OFFREDI-JEULIN, mais la documentation reste vraiment très succincte. Quelques monographies également, vous avez parlé de Monsieur AUZANNEAU, de Monsieur SEMUR, et au fil de mes études j'ai remarqué que ces deux auteurs avaient raconté pas mal de bêtises, mais enfin ce sont mes convictions.

 

      Pour mon étude je me suis basé strictement sur trois sources :

 

            * Les sources textuelles : vous avez parlé du Grand Prieuré d’Aquitaine qui est un fonds exceptionnel aux archives départementales, on a plus de 1 000 liasses, le problème est qu'elles ont été compilées par les Hospitaliers qui ont effectué des grands regroupements différents de ceux qui avaient été réalisés à l’époque du Temple, d’où une difficulté assez importante.

 

            * On a également des sources extérieures à l’Ordre, elles sont indispensables, notamment celles qui concernent les confirmations de droits. J'ai été obligé d’étudier pour la maison de l’Épine par exemple, de la documentation provenant de l’Abbaye cistercienne de Notre Dame du Pin voisine.

 

             * Dernières sources —et je me rapproche de l’histoire de l'art— les sources archéologiques. Il faut être pragmatique, l'étude de l'Ordre est très compliquée puisqu'on a très peu de sources écrites et heureusement l'archéologie vient à notre aide pour essayer de donner une sorte de chronologie en ce qui concerne les fondations, comme expliqué dans le premier chapitre.

 

     Mon étude comporte quatre axes. Le premier axe va expliquer l’histoire de l'Ordre dans la région ; un deuxième axe concernera l'organisation géographique et structurelle ; le troisième portera sur l'étude des seigneuries à proprement parler du Temple ; et le quatrième axe, sur lequel je passerai un peu plus de temps, ce sont les hommes du Temple, le monde du quotidien. Tout cela dans le cadre du Grand Prieuré d’Aquitaine qui siégeait notamment à Poitiers.

 

 

 

I - l’histoire de l'ordre dans la région

 

 

 

     Pourquoi la région Poitou-Charentes ? C'est une division administrative du XXème siècle, qui n’a pas de cohérence templière comme on l’a montré pour les départements précédemment. En ce qui concerne la région et son histoire, on constate que même si les différents fiefs étaient disparates, ils présentaient des liens politiques et religieux importants. On est en effet en présence de l’influence prédominante du Duc d’Aquitaine sur ces pays tout au long de leur histoire, ce qui a bâti entre eux des liens étroits, vous le verrez, surtout lors du conflit entre les Capétiens et les Plantagenêts. La région Poitou-Charentes a été l’enjeu principal et le lieu de nombreuses batailles.

 

Si vous avez lu quelques ouvrages sur l’histoire du Temple en France, vous avez remarqué que la région Poitou-Charentes a été l'une des premières régions d'implantation de l'Ordre, à l'image de la Champagne, de la Provence ou même en remontant au Nord du royaume, les Flandres.

 

     En effet, Il y avait en Poitou, un contexte propice à l'installation des Templiers dans la région. Vous avez cité justement l'exemple de la fondation de la Maison Dieu. Cette fondation, en 1107, fut le fait d'un seigneur, Robert du Puy, qui voulait créer une maison formant des chevaliers et surtout hébergeant des pèlerins en route vers Saint-Jacques de Compostelle. Elle fut autorisée par l'évêque de Poitiers, elle fut même soutenue par la famille d’Aquitaine. Malheureusement cette Maison Dieu n'a pas bénéficié du statut qu’ont eu les Templiers et elle n'a pas eu l'essor qu'a eu l'Ordre. Mais c'était une première étape, plus ou moins avortée.

 

     Resituons le contexte politique : deux grandes familles sont présentes dans la région, la famille d’Anjou, les Foulques, et surtout les ducs d'Aquitaine et de Guyenne qui se sont très tôt investis dans le combat contre l'infidèle, en Terre Sainte, et en péninsule ibérique. C’est le cas pour Guillaume IX, Duc d’Aquitaine, qui a assisté au Concile de Clermont en 1095 et a pris le chemin de Jérusalem en 1101. Il n'a pas participé à la première croisade, mais a organisé une deuxième expédition à la suite de la première croisade. Il a même été le promoteur du Concile de Poitiers en 1106 afin de recruter de nouveaux croisés. Malheureusement la documentation montre que cela a été un échec.

 

     Les vassaux ont suivi, d'une certaine manière, l'exemple des nobles selon un processus de reproduction sociale. L’exemple le plus flagrant concerne la famille des Lusignan, dont Guy de Lusignan qui fut roi de Jérusalem en 1186.

 

     L'église également soutenait le mouvement, à l’exemple de l'évêque de Poitiers qui s’est rendu en 1122 en Terre Sainte, et surtout Girard II, évêque d’Angoulême, légat du Saint Siège de 1105 à 1130, qui fut présent avec Hugues de Payens notamment lors d'un échange conclu en mai 1128 entre le Seigneur d’Amboise et le monastère de Marmoutier. Hugues de Payens lui-même est donc venu dans la région lors de son voyage en France en 1128.

 

 

 

II - organisation géographique et structurelle

 

 

 

     Le voyage d’Hugues de Payens avait deux buts principaux :

 

             o Première étape, le concile de Troyes, qui officialise l’ordre ;

 

             o Deuxième étape un tour de France et même un tour d'Angleterre qui a permis de créer les premières fondations.

 

     Il existe un document de 1128 au sujet de trois donations qui font dire à certains historiens que Hugues de Payens a créé la maison de Coudrie située en Vendée.

 

     On l'a entendu dans la première conférence, il n’existe jamais de documents certifiant la fondation d'une maison, on se base sur l’archéologie ou sur des documents très postérieurs à la fondation initiale. Deux grands exemples régionaux :

 

            * le plus ancien document émanant véritablement de la région concerne la maison de La Rochelle, en 1139. Ce n'est pas une charte de donation, au contraire, c'est une charte de confirmation des biens par Aliénor d’Aquitaine. Cette charte est très intéressante puisqu’elle confirme l'ensemble des possessions de la Maison du Temple de La Rochelle et surtout elle l’exempte de tous droits, sauf de tonlieu, sur les marchandises transportées. Dès 1139 on remarque en effet que les maisons du Temple transportent des denrées et si elles sont exemptées de taxe c'est qu'elles font du commerce. On voit que 15 ans seulement après leur création, les Templiers se sont déjà très bien organisés.

 

            * la première attestation du Grand Prieuré d’Aquitaine est de 1141, même pas deux ans après la mention de La Rochelle. L'essor a été exceptionnel. Ce sont quelques faisceaux de preuve mais c'est incontestable, l'Ordre s'est implanté très rapidement en Poitou Charentes.

 

     J'ai relevé un texte très particulier, qui date de 1151, qui montre une certaine perversité de l'Ordre, c'est la charte soi-disant fondatrice de Beauvais-sur-Matha. Elle est mentionnée en 1151, il s’agit d’une charte de donation de Louis VII, en présence d’Hugues de Payens et de Girard II, évêque d’Angoulême. Hugues de Payens est mort depuis bien longtemps et Girard II également. Cela pour illustrer quels moyens pouvaient être employés pour essayer d’asseoir une nouvelle possession du Temple.

 

     Grâce à mon étude j'ai analysé deux grandes périodes de fondation.

 

     La première débute dès 1130 et va s'arrêter dans les années 1190, ce sont vraiment les premières étapes lors desquelles sont créées les grandes institutions. Grâce à l’archéologie j’arrive à en retrouver 10, malheureusement les chartes de certaines maisons ne remontent qu'au XIIème, voire XIVème siècle, ou même après l’époque du Temple. Je prends l'exemple d’Angoulême qui selon moi est une dépendance du Fouilloux, sa première mention dans la documentation remonte à 1588, donc bien après l'époque du Temple.

 

     La deuxième période serait vers le début du XIIIème siècle concernant avant tout les fondations de dépendances des grandes maisons mères. Ce n'est pas une période qui a vu la création des principaux établissements mais au contraire, grâce à l'affluence de donations, de rationalisation des biens, les maisons principales ont créé d’autres maisons qui ont pu devenir indépendantes par la suite.

 

     Je prendrai l’exemple de La Rochelle qui n’avait pas moins de 7 dépendances. Il est très intéressant de voir qu’au cours de l'époque templière de La Rochelle, ces dépendances ont réussi à acquérir une certaine indépendance, comme à Bourgneuf ou Lomonde qui, après avoir été dépendantes de La Rochelle, sont devenues, vers 1250 totalement indépendantes, avec un précepteur en titre chargé de la maison.

 

     Les Templiers ont reçu énormément de donations très rapidement mais ils ont cherché dès le début à affirmer et à protéger leurs possessions. Les démarches vis à vis des grands laïcs et surtout vis-à-vis de la papauté sont assez impressionnantes. La papauté est le principal soutien du Temple grâce à la Bulle « Omne Datum Optimum » —on l’a vu dans la première conférence— et à chaque pontificat les Templiers de la région ont cherché à avoir de nouvelles bulles pour confirmer les biens ou pour expliciter la Bulle « Omne Datum Optimum ».

 

     Prenons un exemple : chez les laïcs, on sait que le Poitou-Charentes est une région qui a été plus ou moins ravagée par le conflit Plantagenêts-Capétiens. Jusqu’au remariage d’Aliénor d’Aquitaine les Templiers se sont fait confirmer leurs biens par Louis VII ; après le mariage d’Aliénor avec Henri II Plantagenêt, ils vont voir les Plantagenêts, pour confirmer les donations ; 1242, fin de la présence des Plantagenêts, retour des Capétiens, que font les Templiers ? Ils retournent voir les Capétiens et obtiennent de nouvelles confirmations. A chaque revirement politique, tous les verrous possibles sont utilisés et, on le remarquera dans la documentation judiciaire, les Templiers sont souvent gagnants, ce qui explique pourquoi il n’y a eu que des conflits.

 

     La puissance régionale templière présente quatre grandes caractéristiques :

 

            * C’est d’abord une force morale très rapidement reconnue. Elle est insérée pleinement dans le réseau de social féodal. C’est ainsi que dès 1145 on possède un acte de restitution d’Eble de Mauléon, Sénéchal de Poitiers, aux religieux de la Trinité de Vendôme rédigé dans la Maison de La Rochelle. C'est-à-dire que le précepteur du Temple de La Rochelle avait été pris comme arbitre et donc hébergeait cette rémission. Cela prouve d'une certaine manière que dès 1145 les Templiers possédaient un aura important vis-à-vis des grands laïcs et des religieux du fait de leur mission car, dans la documentation médiévale, le fait de passer un accord dans un lieu précis renforçait d'une certaine manière cet accord.

 

             * C’est ensuite une force militaire. On l'a vu avec les Plantagenêts qui n'ont pas hésité à solliciter les ordres religieux, notamment les Templiers pour la garde de la grande Citadelle de Gisors par exemple. Sur Poitiers ou la région Poitou-Charentes on a très peu d'exemples. Le seul que l'on peut avoir est la police des routes —et j'y reviendrai dans le deuxième chapitre— du fait de leur situation stratégique.

 

* C’est également une puissance domaniale incontestable au niveau régional. La correspondance d’Alphonse de Poitiers en 1269 nous montre que le Temple, dans le seul Comté du Poitou, avait acquis en 30 ans des biens d'une valeur de 2 000 livres de rente. On voit que même en 1269, période pour laquelle les donations semblent chuter, les Templiers acquièrent encore des fortunes exceptionnelles.

 

            * C’est enfin, et c’est plus difficile à expliquer, une force commerciale et bancaire. J'ai plusieurs exemples qui concernent exclusivement la Maison de La Rochelle au niveau des activités bancaires, mais elles sont incontestables.

 

     Comme je vous l’ai expliqué au début, les Templiers se sont implantés très rapidement dans la région Poitou-Charentes. Par contre, dans la documentation, dans les grandes synthèses templières, le Poitou-Charentes n'est guère mis en avant. Les Templiers n’y ont pas eu le même essor que dans d’autres régions et n’y ont pas bénéficié d’un même contexte de paix.

 

     En effet, notre région a connu une période d'instabilité très longue, avec le conflit entre Plantagenêts et Capétiens. Le climat religieux y a également été peu propice avec une instabilité dès 1130 due au schisme d’Anaclet, qui a totalement déstabilisé la région. Le schisme d’Anaclet est lié à l’élection simultanée d’Innocent II et d’Anaclet II. Girard II, légat du Saint-Siège et Guillaume d’Aquitaine, ont décidé de soutenir Anaclet II. Ce conflit important a dû, d'une certaine manière, bloquer l’essor dès le début des Templiers.

 

     Un autre contexte défavorable consiste dans le fait qu’en région Poitou-Charentes les ordres bénédictins se sont implantés de façon exceptionnelle. Les cisterciens ont eu beaucoup de mal à y créer des établissements, il a fallu l'intervention énergique de Bernard de Clervaux, notamment dans l'affaire du schisme d’Anaclet, pour créer quelques établissements. Les Templiers, bien que très appuyés par le réseau religieux n’ont pu s’implanter aussi fortement qu’ils ne l’auraient désiré.

 

L’ordre a été remis en question au fil du temps, consécutivement à la baisse de motivation pour aller guerroyer en Terre Sainte, ce qui n’est pas spécifique à la région Poitou-Charentes. On peut citer également leur arrogance assez impressionnante vis-à-vis de leurs contemporains. J’en veux pour preuve, à La Rochelle, une lettre du Maire se plaignant en 1221 à Henri III des violences templières au sein de la cité.

 

     Il y a également eu des abus concernant les libéralités octroyées comme le montre une charte d’Henri III, de 1222, au chevalier de La Rochelle qui tout simplement s'accaparait les hommes d’Henri III. L'intervention du Saint-Siège a d’ailleurs été nécessaire pour régler l’affaire.

 

      Et surtout on peut citer la révocation d'une autre charte d’Henri III concernant la Maison des Épeaux, située à proximité de Royan. Cette charte a été éditée en 1242 et révoquée 5 jours après. Elle concernait le droit de transporter et de vendre du vin et des productions diverses sur toutes les terres templières. Si cette charte a été révoquée, on se doute bien que les Templiers n’ont pas respecté le contrat et ont sans doute abusé de ces libéralités.

 

     Je vais revenir sur la typologie des implantations du Temple. Vous avez parlé tout à l'heure de la Via Turonensis, il est très intéressant de remarquer qu'on a déjà 6 maisons sur la Via Turonensis, qui part du Nord de la France, de Paris, en passant par Orléans, Tours, Châtellerault, Poitiers, étape s'il en est très importante, avec les reliques de Sainte Radegonde, de Saint Hilaire, puis Saintes, où étaient les reliques de Saint Eutrope. On remarque que les maisons d’Auzon, Poitiers, l'Épine, Roche, Ensigné, Bussac et Civrac, sont toutes alignées sur ce réseau routier.

 

     Parallèlement nous n’avons pas moins de 18 autres maisons qui sont sur des réseaux secondaires. On a bien sûr la route principale, la Via Turonensis, mais les pèlerins viennent également du Bas-Poitou, de l'Anjou, il y a des bretons, des normands, et également des pèlerins qui proviennent de la Marche et du Limousin. Ils rejoignent la Via Turonensis par des réseaux secondaires, et l'ensemble de ces maisons, quand on l’étudie dans la documentation, sont basées sur ces réseaux routiers secondaires. Toutes les maisons ne sont pas, à l'image de certains ordres, à l'écart du siècle et consacrées à la prière, l'ensemble des maisons du Temple avaient pour vocation d’être sur le réseau routier, des centres de promotion.

 

Je vais revenir sur la question la plus discutée de l'étude, la question économique. On a très peu d'éléments qui permettent d’affirmer que les Templiers étaient des férus d’économie et cherchaient à amasser beaucoup d'argent. On a entendu énormément d’histoires sur le trésor du Temple, certains encore vont creuser autour des châteaux pour trouver quelques pièces. Je pense que ce trésor n'existe plus. S'il y en a eu un, Philippe le Bel s’en est très vite accaparé.

 

     On sait que sur le plan économique les Templiers profitaient du fait qu'ils soient implantés sur le réseau routier. En tant que seigneurs des lieux ils percevaient tout simplement les droits de haute et de basse justice, de voirie, peut-être des droits de péage.

 

     Prenons la maison de La Rochelle, qui est située sur la principale voie commerciale de la ville, qui s'appelait comme par hasard la Rue du Temple ; à Poitiers, où était le siège du Grand Prieuré d’Aquitaine, la maison était située sur l’axe commercial principal de la cité, la Grand-Rue, qui menait à la grande place commerciale de la cité, le marché Notre-Dame. Elle fut partie prenante directe et indirecte des échanges réalisés sur ces marchés d’ailleurs animés par le Temple.

 

     Dans la documentation à proprement templière j'ai quatre exemples de maisons disposant de halles : Châteaubernard, situé à proximité de Cognac, Beauvais-sur-Matha, Bourgneuf et Terrai.

 L’exemple de La Rochelle est particulier. Dans la documentation on parle de « Halle du Temple ». Cependant, les bourgeois de La Rochelle et surtout la royauté se sont toujours opposés à la mise en place d'une halle à La Rochelle. Les Templiers ont certainement disposé d’une sorte de marché attenant à la maison située sur la grande voie principale, la Rue du Temple.

 

     J’évoquerai également les activités bancaires du Temple en citant les prêts hypothécaires faits aux souverains et surtout aux Plantagenêts. Le Temple a en effet prêté notamment à Henri II et à Jean -sans -Terre, la documentation qui le prouve est assez abondante.

 

 

 

III - les seigneuries du temple

 

 

 

     Je vais très peu m’attarder sur le bâti templier, vous en avez parlé tout à l'heure à propos des églises. Je vais simplement rappeler quelques grandes caractéristiques.

 

     Dans certaines maisons on remarque qu'on a un élément défensif assez important. Vous avez montré tout à l'heure la Maison de Montgauguier, vous avez dit justement que les fortifications dataient de l'époque hospitalière, et je suis d'accord avec vous. On retrouve ces murailles notamment à Mauléon. Il est très intéressant de noter qu'on va voir sur certaines maisons de grandes murailles, et je prendrai à l'opposé l'exemple d’Auzon où on n'a jamais eu de murailles mais simplement des haies. En revanche, à Beauvais-sur-Matha, on a encore de grandes fortifications qui font près de 4 mètres de hauteur. Selon la région on avait des ensembles plus ou moins fortifiés.

 

     Une configuration est commune au niveau de toutes les maisons, c'est une forme rectangulaire —on l’a vu tout à l’heure pour la Maison d’Auzon— provenant de l’influence cistercienne. On retrouve cette influence dans les constructions religieuses, les batiments restent austères comme on l'a vu dans la première conférence.

 

     La seule fantaisie que l'on retrouve dans les chapelles templières réside dans les peintures murales. On en a un exemple très impressionnant avec la chapelle de Cressac. Je vous invite à aller sur le site « templiers.net » où un chapitre est consacré à ces peintures. C'est une des seules chapelles en occident qui conserve des scènes de la croisade. C'est très joli à voir et elles sont en très bon état de conservation. Heureusement l'armée allemande n'a pas fait sauter de pont à proximité de Cressac, provoquant des dégradations malheureuses.

 

      Revenons sur l'origine et la gestion des biens exploités. Au fil de mon étude j'ai remarqué qu’au niveau du Temple,on a quatre grandes origines de biens :

 

            * La première origine ce sont les donations, importantes dès le début. Les donations chutent au cours du temps, surtout à partir du XIIIème siècle.

 

            * La deuxième pratique est complémentaire à la chute des donations, ce sont les achats qui apparaissent dans la seconde moitié du XIIIème siècle. Le premier exemple provient de La Rochelle, omniprésente dans l'étude, en 1216.

 

            * Un troisième mode d'acquisition de biens, ce sont les confiscations. Je vous ai parlé tout à l'heure sans exemple de l’activité bancaire. Les Templiers de La Rochelle avaient une pratique, celle du prêt hypothécaire. On peut citer l'exemple de la Maison de Terray, où Hugues de Surgères avait contracté une dette de 900 livres envers la Maison du Temple de La Rochelle. N§e pouvant la rembourser il a fait un premier accord en 1297 en donnant en gage les droits de haute justice à Terray. Malheureusement Hugues de Surgères est décédé et sa femme, veuve, n'a pu couvrir la dette. Il s’en suit un procès en 1302 et la Maison de La Rochelle est mise en possession du gage.

 

              * La quatrième origine est l'échange avec les seigneuries voisines, pratique qui semble mineure.

 

     Concernant la Maison d’Auzon on a un exemple de donation : les Templiers ont donné une maison sise à Châtellerault, en 1284. J'ai trouvé curieux que les Templiers aient donné une maison sans rien en retour, car les institutions religieuses par nature conservaient leurs possessions. D'une certaine manière j’essaye d'y voir une vente, puisque, selon leur règle, les institutions religieuses à l'époque n'avaient pas le droit de vendre ou d'aliéner leurs biens. Les Templiers ont-ils contourné la règle ? Seuls ils le savent.

 

     Je ne vous ferai pas la liste de l'ensemble des productions qui étaient liées à l'activité des maisons. On a forcément l'élevage qui est très important, l'activité céréalière, l'exploitation forestière, et même les salines concernant les maisons d’Aunis. Je vais seulement revenir sur une culture qui a pour moi fondé véritablement l’essor économique de l’Ordre, c'est la culture de la vigne.

 

     C’est une production qui est commune à l’ensemble des maisons. Elle est comprise dans la règle, à l'article 11 : l'ensemble des Templiers, les frères, peuvent boire du vin au cours de leur existence ; c'est très codifié, mais on a remarqué que les maisons des Épeaux, de Beauvais-sur-Matha, de Bourgneuf et surtout de La Rochelle, se sont spécialisées dans la production vinicole. On peut observer de nombreux titres de propriété de vignes et dans chaque maison on a une présence de chais, de pressoirs, de celliers. Beauvais-sur-Matha avait dans la documentation un droit de bon vin, c'est-à-dire le droit de mesure, sorte de taxe sur le vin.

 

     Ces productions sont considérables, hypothèse basée sur la charte d’Henri III qui autorisait les Templiers des Épeaux à transporter et à vendre jusqu’à la veille de la fête de l’Assomption suivante leur vin et leurs productions diverses.

 

     On a aussi la charte d'Aliénor d’Aquitaine de 1139 qui exempte de droit l'entrée et la sortie de marchandises, donc forcément le vin, provenant de La Rochelle.

 

      Les Templiers, surtout ceux d’Aunis et de Saintonge produisaient énormément de vin, pas seulement pour les frères mais pour faire du commerce. Il est très intéressant de voir que les Patent Rolls d’Henri III mentionnent dès 1230 la présence de deux bateaux à La Rochelle, qui s'appellent « La Templère » et « La Busarde du Temple », qui font des liaisons régulières avec l'Angleterre, notamment pour vendre du vin. Les anglais étaient de gros consommateurs.

 

     Cette activité commerciale a eu une influence sur l'organisation des maisons comme expliqué dans la quatrième partie de mon exposé.

 

     Au niveau des rapports seigneuriaux, il n’y a eu que très peu de conflits entre les seigneurs et les Templiers. On a pour Châteaubernard, la maison sise à côté de Cognac, un accord pour la construction d'un oratoire, en 1224 ; on a un accord politique entre les Épeaux et Hugues de Tonnay, seigneur de Royan sur le fait que les Templiers s’engageaient à ne recevoir dans leur dépendance de Peloi que des hommes provenant des seigneuries autres que celle d’Hugues de Tonnay.

 

     Cela laisse transparaître quelques litiges politiques entre le Temple et les seigneuries voisines. En effet, les Templiers possédaient des seigneuries attractives, comme dans le Roussillon, et les seigneurs alentours n'appréciaient pas toujours de perdre leurs tenanciers au profit des Templiers.

 

      Je vous ai parlé d'accords commerciaux, on les a strictement pour la Maison de La Rochelle. On possède en effet deux chartes en 1249 et en 1270 qui concernent un accord entre les Templiers de La Rochelle, l’Abbaye de la Grâce Dieu et de Saint Bernard de Chaumont. L’accord concerne la construction d'un canal permettant la décharge en eau des marais templiers pour la création de salines. On y remarque que les Templiers furent d’excellents administrateurs puisque l'accord anticipait tout conflit concernant la propriété et l’utilisation du canal.

 

     Je m’en tiendrai à cette présentation succincte pour parler de la quatrième partie de mon étude qui est la plus importante et la plus originale.

 

 

 

IV - la vie quotidienne au sein des maisons

 

 

 

     J'ai analysé la vie quotidienne au sein des maisons à partir de la compilation de Michelet sur les interrogatoires menés à Paris auprès des frères. Une trentaine de Procès-Verbaux mentionnent dans chaque interrogatoire l'âge, le statut social du frère et surtout son rôle dans l'organisation, son diocèse d'origine, sa maison d'appartenance, et également le lieu et la date de réception dans l’Ordre. De tous ces éléments j'ai pu en tirer quelques grands traits généraux de l'organisation régionale et de la vie quotidienne dans l'Ordre.

 

     Première constatation : les frères ont des origines très diverses. Les frères ne provenaient pas forcément d’Aquitaine. Il paraît vraisemblable que la très grande majorité des frères qui vivaient dans les maisons de la région pouvaient provenir d’une région très éloignée. Le dernier Grand Prieur d’Aquitaine, Geoffroy de Gonneville, fut reçu dans la chapelle du Temple de Londres en 1279, alors qu’un anglais devenait grand prieur d’Aquitaine, ceci pour illustrer le brassage effectué par l’ordre.

 

     Deuxième constatation : les frères issus des régions les plus éloignées assumaient de hautes responsabilités, signe que les meilleurs gestionnaires de l'Ordre étaient envoyés au loin.

 

     Au terme de l'étude de tous ces interrogatoires j'ai remarqué trois grandes relations :

 

            * une relation avec tout le Royaume de France et même le sud, comme dans le cas de Guillaume Arnaud qui était précepteur du Rouergue en 1199 et qui devint grand prieur d’Aquitaine en 1220 ;

 

            * une relation très privilégiée avec l'Angleterre, je parlais tout à l’heure de La Rochelle avec ses deux bateaux. Outre Geoffroy de Gonneville, on peut citer trois autres exemples : Amaury de Sainte Maure qui fut précepteur du prieuré d’Aquitaine en 1189 et qui fut grand prieur d'Angleterre en 1200 ; Guillaume de Gravelle qui fut templier en Poitou vers 1219 puis Grand Prieur d’Aquitaine en 1220 ; dernier exemple, Pierre du Cloître un templier écossais, reçu en 1298 et résidant en 1307 dans la maison saintongeaise de Civrac ;

 

            * une relation avec la Terre Sainte. Avec deux exemples assez importants, Robert de Craon et Guillaume de Sonnac. Robert de Craon était un ami intime de Vulgrain II, Comte d’Angoulême, il fut le deuxième grand maître de l'Ordre. Guillaume de Sonnac —dont l’association porte le nom— fut précepteur de la Maison d’Auzon, puis Grand Prieur d’Aquitaine et à la fin de cette charge devint le grand maître de l’Ordre.

 

     Ces relations avec la Terre Sainte ont été citées par Alain DEMURGER quand il explique que les commanderies d'occident assuraient le recrutement, formaient les candidats à l'entrée dans l'Ordre puis les envoyaient en Orient.

 

     Les commanderies accueillaient également les frères malades, blessés ou âgés, de retour du front. Dans les interrogatoires on conserve deux dépositions de frères ayant combattu en Terre Sainte. Ils furent esclaves, et à la fin de leur esclavage ils sont revenus en France, précisément dans la région Poitou-Charentes. On voit que la relation France-Terre Sainte n'était pas à sens unique et somme toute assez courante.

 

     Revenons sur le Grand Prieuré d’Aquitaine de Poitiers. Poitiers était la capitale politique et religieuse des Ducs d’Aquitaine. Les Templiers qui cherchaient à asseoir leurs possessions, à confirmer leurs biens, installés aux portes du palais ducal tout proche de la Grand-Rue, pouvaient facilement peser sur les décisions.

 

     Dans la documentation on ne parle pas précisément de « Grand Prieur d’Aquitaine » mais de « preceptor pictaviae », « preceptor pictaviae aquitanae », « magister pictaviae », ou encore « preceptor aquitanae ».

 

     Vous avez dit tout à l'heure que ce Grand Prieuré d’Aquitaine recouvrait un vaste territoire, qu’il s'étendait même jusqu'à la Bretagne et vous avez justement dit qu’une délégation a été faite au sein de cette organisation. En 1285 et 1288 est mentionné dans la documentation un lieutenant précepteur, pour les maisons de l'Angoumois, de l’Aunis et de la Saintonge. Il existe aussi un autre exemple contenu dans les archives, un acte daté de 1245 qui fait mention d'un commandeur des maisons de Bretagne. Initialement la région était très grande mais il est clair qu'elle était divisée en délégations.

 

     Cette grande région était organisée par le Grand Prieur qui se devait de rassembler l'ensemble des dignitaires. La Maison d’Auzon était un lieu de rassemblement du chapitre général qui, selon mes sources, se réunissait chaque année. Mais la Maison d’Auzon n'était pas la seule à recevoir l’ensemble des dignitaires de l'Ordre de la région, on avait deux autres maisons, La Rochelle et les Épeaux, près de Royan.

 

     Du Grand Prieuré d’Aquitaine nous conservons les noms de 23 dignitaires qui se sont succédés. Il est intéressant de constater que l'ensemble de ces mandats ont une durée limitée, en moyenne ils ne durent que 5 ans. La raison la plus plausible de cette durée limitée de la charge était certainement la nécessité de conserver une bonne rigueur administrative. La responsabilité impliquait en effet un minimum d'expérience et le fait de rester trop longtemps à cette charge pouvait créer des dissensions et ne pas rendre l'action de l'Ordre optimale.

 

      La même constatation peut être faite au sein des maisons pour lesquelles les mandats de précepteurs sont courts à quelques exceptions près. Le mandat de Guillaume de Sonnac n'a pas été très long à la maison d’Auzon.

 

     Le grand prieuré d’Aquitaine présentait deux compétences principales :

 

            * d'abord une compétence juridique. On conserve beaucoup de chartes où le Grand Prieur d’Aquitaine est le légiste de l'Ordre. Dans certains conflits il intervient pour réaffirmer les droits des maisons.

 

            * le Grand Prieur est également un responsable politique, garant du bon fonctionnement du réseau régional, assurant la tenue régulière de chapitres généraux.

 

     Sur la question économique il est impossible de savoir si le grand prieur intervenait directement dans la politique des maisons, seuls les Templiers l’ont su.

 

     Au sein des maisons on retrouve la même hiérarchie. On sait que la maison était dirigée par son précepteur, responsable de la preceptoria ou domus templi. Comme on l'a entendu tout à l'heure, le terme de « commanderie » est un anachronisme, il fut inventé au XVème siècle.

 

     Le précepteur était titulaire du poste. Âgé au minimum de 40 ans, il faisait partie de l'Ordre depuis au moins 10 années. A partir des études faites sur les interrogatoires, il ressort que les mandats étaient en moyenne de 2 années et à la fin de ces mandats les précepteurs restaient rarement dans le même établissement.

 

      Je prends l’exemple d’Hugues de Narsac, précepteur de Ballan-Miré dans le diocèse de Tours, en 1280, de Châteaubernard, en 1295 puis des Épeaux en 1307. Ce cas illustre bien la mobilité assez importante au sein de la sphère régionale.

 

     Ces constatations ont bien sûr des exceptions, comme à La Rochelle où Guillaume de Liège fut précepteur pendant près de 15 années. Un autre contre-exemple à Montgaugier où Frère Regnaud est resté de nombreuses années au sein de la maison.

 

     Cependant la maison n'est pas toujours composée d’un précepteur et d’un ensemble de frères. On voit dans certaines maisons qui étaient plus ou moins grandes des titres très particuliers : on avait forcément le titre de chapelain que l’on retrouve dans beaucoup de maisons, on trouve pour la Maison de La Rochelle le poste de trésorier, fonction que je n'ai jamais retrouvée dans d’autres maisons dans la région.

 

     Le cas de La Rochelle est en effet spécifique compte tenu de l'activité commerciale qui y était exercé. L'ensemble des maisons de la région n’était pas équipé comme La Rochelle pour commercer. La Rochelle avait 7 dépendances, 2 bateaux, elle avait des contacts étroits avec l'Angleterre, d’où ce poste spécifique de Trésorier.

 

     A La Rochelle on trouve également la charge de portier. J’ai essayé de chercher dans la documentation ce que voulait désigner ce terme, en fait il désigne le concierge qui assumait la garde à l'accueil.

 

 

 

conclusion

 

     Comme vous avez pu le constater, mon étude est assez générale. Il a été très difficile de résumer une étude portant sur deux siècles et sur une région aussi grande que le Poitou-Aquitaine en trois quarts d'heure. Aussi, si vous le souhaitez je peux vous fournir l’ensemble de mon étude, cela me fera énormément plaisir de vous la faire partager.

 

     De mon introduction j'ai tiré une phrase de Simon JEAN qui a écrit un très bel ouvrage sur « les Templiers des Pays d’Oc et du Roussillon », que je conseille, il disait tout simplement que notre seule certitude est de ne pas connaître la vérité de façon globale, complète et même cohérente, parce que 7 siècles sont passés effaçant inéluctablement des éléments essentiels.

 

     C'est-à-dire que l'ensemble de l'étude bien souvent, on l'a remarqué pour la datation, pour l'activité au sein des maisons ou au niveau régional, part souvent d'hypothèses. On n'aura jamais la vérité générale de l’Ordre, on a trop peu de sources, on en a seulement quelques faisceaux. (applaudissements)

 

     M. Jean-François LAVRARD. - Un grand merci à Julien parce que je le connais, il a du faire un effort énorme pour condenser tout cela dans le temps imparti, il connaît tellement de choses qu'il n'a pas pu tout vous dire. Son étude est épaisse et vraiment très intéressante.

 

     Il a abordé tellement de sujets que je pense qu'il y a beaucoup de questions, ce serait dommage de ne pas les lui poser.

 

 

débat avec la salle

 

 

 

     Première question. - Une question naïve : vous avez dit que les Templiers recevaient de l'argent des Rois d'Angleterre, parce qu'évidemment notre région était anglaise à cette époque là. Est-ce que les Templiers n'avaient pas de problème de nationalité ? Parce qu'il y avait d'autres commanderies dans d'autres régions. Je me posais cette question.

 

     M. Julien VIALARD. - C’est là tout le problème, les Templiers n'avaient pas de nationalité, ce qui dérangeait énormément l'État et un certain Philippe le Bel qui fut le seul à pousser jusqu'au bout les nombreuses critiques à l'encontre de l'Ordre. Non, l’Ordre, au contraire, était une sorte —le terme est assez fort— de multinationale, c’était un système totalement indépendant.

 

     On peut le voir puisqu’on utilise souvent le terme ce « success story à la templière ». Je vous l’ai montré tout à l'heure, dès 1139 on voit la confirmation d'Aliénor d’Aquitaine sur l’exemption de charges sur les transports de marchandises. Même pas 11 ans après le Concile de Troye,s on est en présence d’une activité commerciale avérée. Ces états dans l'État, qui n'avaient aucun problème pour assurer des liaisons avec la Terre Sainte, avec l'Angleterre, qui pouvaient se faire confirmer les biens par les souverains Plantagenêts et Capétiens, ont forcément suscité des convoitises, des jalousies. C’est ce qui a amené la chute finale de l’Ordre.

 

     Deuxième question. - D'abord merci pour la passion que vous dégagez pour le sujet que vous traitez, cela fait plaisir.

 

     Dans votre étude vous avez abordé de manière très explicite, et je vous en remercie, tout ce qui tenait au commerce, à la partie militaire puisqu'on parle souvent du Temple militaire, mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt parce que l’ordre n'était quand même pas que cela.

 

     Est-ce que dans votre étude vous abordez le « non nobis domine, non nobis » c’est-à-dire la dimension spirituelle ?

 

     M. Julien VIALARD. - Je n'ai pas forcément abordé l'étude spirituelle. J'ai d'abord basé mon étude sur les sources, or la spiritualité à proprement parler dans ces sources, dans les actes de la pratique, est très peu explicitée. J'ai basé mon étude sur le quotidien. Concernant les actions militaires, elles sont sous-entendues. Ce qu’on sait des templiers dans la région c'est qu’ils assuraient la police des routes, en vertu du fait qu'ils sont hauts seigneurs, hauts justiciers des lieux et ils avaient donc aussi un aura du fait de leur action en Terre Sainte.

 

     Mis à part le fait que ce sont des moines, des moines militaires, j'en parle rapidement dans mon introduction concernant les débuts difficiles de l’Ordre. Il faut reconnaître qu’entre 1119 et 1128 on a une vaste période d'ombre. Les Templiers ont réussi à se créer en tant qu’ordre officiel grâce notamment à Foulque V d’Anjou et surtout au Comte de Champagne qui par leur intervention et leur influence auprès du Pape, ont réussi à créer un ordre officiel. Mais au niveau de la religion, je suis resté très succinct.

 

     Le même intervenant. - Je rebondis un peu sur ce que vous dites. Je ne voulais pas parler de religion au sens où vous l'entendez. Simplement il est indubitable, même les historiens les plus sérieux peuvent quand même le reconnaître, que les réceptions de frères du Temple étaient plus des initiations au sens mouvement traditionnel que religieux. Evidemment il faut se replacer à cette époque, chaque chose doit être actualisée.

 

     Beaucoup d'historiens aussi tendent à penser maintenant que lors du procès du Temple beaucoup de bêtises ont été dites par certains frères pour la bonne raison que tous les templiers n'étaient pas initiés et que ceux qui n'étaient pas initiés ont raconté quelquefois beaucoup de choses qu’ils n'avaient pas vécues eux-mêmes. Mais je pense que face au bûcher, évidemment, on tend d'abord à sauver sa peau, ce qui est normal, ce qui est humain.

 

     La force du Temple ne résidait pas je pense uniquement dans le fait qu'il soit capable de bâtir à plusieurs niveaux, économique, financier et militaire. Il y avait une force de cohésion entre eux et cette force de cohésion peut s'apparenter à une certaine spiritualité. Mais encore une fois tous les frères n'étaient pas reçus au sein de l'Ordre du Temple et pourtant étaient Templiers.

 

     M. Jean-François LAVRARD. - On peut dire qu’il y en a beaucoup qui ont vécu le bûcher comme une délivrance, ils ont vécu bien pire que le bûcher.

 

     M. Julien VIALARD. - Sur le procès des Templiers, vous en parliez tout à l'heure, et les interrogatoires, on ne conserve qu'une partie des procès-verbaux des frères qui ont été interrogés, ceux qui accablent l’Ordre. On en a quelques-uns qui sont assez neutres mais la volonté de Philippe le Bel et de Guillaume de Nogaret, soutenu, je vous le rappelle, par un pape français, Clément V, dans leur initiative, était d'accabler le Temple, de le supprimer, de le condamner. Mais l'Ordre n'a jamais été condamné.

 

     Concernant la cérémonie de la réception, c'est vrai qu’on a toute une zone d'ombre. On a raconté tellement de choses sur les Templiers qu'on marche parfois sur des œufs, notamment quand on parle de la réception des frères. Une chose est sûre : les Procès Verbaux montrent que c'était une grande cérémonie. Il y a eu énormément de réceptions à Auzon, dans le cadre des chapitres généraux, avec l'ensemble des dignitaires, c'était une sorte de cooptation, c'était une grande réunion officielle, un grand cérémonial.

 

      Le même intervenant. - Sur le rituel de réception de 1128 on s’aperçoit bien que c'est une initiation, ça n'est pas un rituel religieux.

 

      M. Julien VIALARD. - D'accord.

 

      Vous aviez une deuxième question, vous parliez de la force de cohésion de l’ordre. Je vous l’ai montrée par rapport au Grand Prieuré d’Aquitaine, on le voit dans les relations, c’est très intéressant dans l'étude. Rappelons-nous que nous sommes au XIIIème siècle, que les frères du Temple qui provenaient de Châtellerault, de La Rochelle, pouvaient aller en Terre Sainte, avec un réseau routier qui n'était pas celui qu'on a aujourd'hui. On n'avait pas le téléphone, et les Templiers n’avaient qu'un seul endroit pour partir en Terre Sainte, c'était Marseille. Donc imaginer que tous les réseaux étaient vraiment en relation étroite pour permettre à des frères de Poitou-Charentes d’aller combattre en Terre Sainte, est assez impressionnant pour l'époque.

 

     M. Jean-François LAVRARD. - Marseille et Bari aussi en Italie, beaucoup partaient de Bari. (applaudissements)