QUELQUES EXEMPLES REPRÉSENTATIFS DE DÉCORS PEINTS D’ÉGLISES TEMPLIÈRES

 

 

Mme Claude ANDRAULT-SCHMITT. - Je dois vous parler de quelques exemples représentatifs des décors peints des églises des Templiers. J’essayerai de brosser assez large, mais à partir d’un exemple très précis : un programme peint qui se trouve dans la Creuse, à Paulhac, commune de Saint-Étienne de Fursac. A partir de ce cas je me propose d'interpréter et comparer. Existe t’il des « programmes » décoratifs propres aux Templiers?

Je pars de la Creuse parce que c’est une région que je connais bien, comme Jean-Marie ALLARD d’ailleurs, nous nous rencontrons sur ce sujet, et cela me permettra d'être relativement précise. Dans un diocèse comme le diocèse de Limoges, Jean-Marie ALLARD a réalisé des dénombrements : il y avait environ 36 établissements de Templiers et 25 établissements d’Hospitaliers, sur 3 départements actuels, plus un petit bout de la Charente, donc vous pouvez avoir une idée du semis d’établissements que l’on trouvait en campagne. D'autre part, cette région qui est assez vaste, et qui va de la petite chapelle de Bellechassagne, près d’Ussel, jusqu’à l'établissement templier du Petit Madieu en Charente Limousine, offre des avantages supplémentaires. S'il reste un certain nombre d’églises médiévales, s'il reste un certain nombre de décors peints, il n’y a pas, comme ailleurs évidemment, beaucoup d’archives. Toutefois il existe des sortes de contrats avec l’évêque de Limoges, aussi bien du côté Templiers que du côté Hospitaliers, qui dans les années 1280 prévoient que ceux-ci puissent découper des paroisses autour de leurs oratoires.

C’est une situation que l’on n’a pas l’habitude de mettre en évidence mais qui a beaucoup d’implications. A partir du moment où les Templiers créent une paroisse autour de leur maison, ils ont droit à recevoir de l’argent pour les sacrements, ils sont en compétition avec le reste de l’Église —ce qui n’a pas non plus arrangé leurs affaires—, et en outre ils ont le devoir de s’adresser à la population. Alors le décor de leurs églises, leurs pratiques, leurs reliquaires et tous les objets dont on vous a parlé tout à l’heure à propos du procès qui pouvaient très bien être des reliquaires, étaient destinés aussi à la pratique paroissiale.

Ces contrats avec les évêques permettent également de faire des dénombrements, de savoir exactement quelle maison était templière, laquelle relevait des Hospitaliers de Saint Jean.

 

Plan de l'église templière de Blaudeix


Parmi les établissements du diocèse de Limoges, j’ai pu rencontrer —c’est comme cela que je me suis lancée dans l’étude— un groupe d’édifices assez semblables au point de vue architectural, qui prouvent —c’est pour cela que je vous parlais du Trésor— que les Templiers ont pu créer un type architectural spécifique. Nous les reverrons, si vous apercevez les plans, cela concerne surtout trois édifices et un quatrième : à Paulhac, Charrières, Blaudeix, qui sont tous les trois en Creuse, il faudrait y ajouter Chamberaud. Ces quatre édifices sont assez semblables pour qu’on imagine qu’il y ait eu une pensée artistique, une volonté de créer quelque chose d’original.

Qu’est-ce que c’est que cette commande originale ? C’est un gothique rural, une réalité que l’on oublie trop souvent. Le XIIIème siècle est considéré comme « le siècle des cathédrales ». Il m’apparaît de plus en plus que le XIIIème siècle est également le siècle des églises paroissiales, le siècle pendant lequel on construit énormément d’églises dans les villages, d’églises à fonction paroissiale, le siècle au cours duquel on les décore et on les peint. Au point de vue qualitatif, si l’on peut se permettre de juger, les programmes peints au XIIIème siècle dans la moindre église de village peuvent être d’aussi bonne qualité que les programmes peints des cathédrales. Les Templiers ont eu leur part dans ce mouvement de création, création sur le plan architectural, création sur le plan des décors peints.

Ceci me permet d'aborder une autre question concernant le livre de Maurice Druon « Les Rois Maudits ». Je ne vais pas me lancer dans une critique mais il y a au moins un reproche que je ferai au premier film qui a été tiré de ce livre, c’est que ce film se passe dans des décors pierres apparentes de palais du roi, les églises sont toutes grises, dans des décors d’ailleurs en carton-pâte mais peu importe. Or, quand on pense au luxe que l’on déployait dans ces années là, particulièrement au début du XIVème siècle, en tentures, en objets précieux, en peintures murales, en enduits polychromes, cela me semble une des trahisons les plus évidentes.


Façade sud de l'église de Paulhac


J’en arrive de plus près à mon objet qui est donc le programme peint qui se trouve dans l’église de Paulhac. Par rapport au groupe dont je vous parlais, l’église de Paulhac est l’une des églises les plus grandes, vous l’avez vu sur le plan. Et c’est une église autour de laquelle on a découpé une paroisse. Cette paroisse a disparu à la Révolution, c’est-à-dire qu’il y a une sorte de vengeance contre les Templiers encore au moment de la Révolution française: la plupart des paroisses qui ont été attribuées aux Templiers, et qui ont été découpées dans une paroisse antérieure, sont revenues à la commune de rattachement. Le mouvement communal a donc effacé le découpage paroissial, ce qui a entraîné de véritables luttes picrocholines entre les villages de Saint-Étienne de Fursac et de Paulhac.

Avant de continuer, je voudrais également raccrocher mon exposé à ce qui a été dit tout à l’heure. La Creuse vous semble peut-être exotique par rapport à ce lieu dans lequel nous sommes, en tous les cas lointaine, mais il y a des rapports entre Auzon, et nos maisons de la Creuse. Par exemple c’est à Auzon que se déroula la réception du dernier précepteur de Paulhac, donc le dernier responsable de la Maison de Paulhac, Humbert de Comborn, qu’on vous a cité tout à l’heure dans un des actes du procès. Il va y avoir des passerelles, des rapports entre les deux régions.

Ceci dit —ce qui est un petit peu ennuyeux pour la consultation des archives— les Templiers limousins appartenaient à la Province d’Auvergne, qui a relevé de Bourganeuf, ancienne maison des Hospitaliers que vous connaissez peut-être tous, au début du XIVème siècle.

D’autre part, il existe un personnage tout à fait marquant et sans doute un acteur essentiel du procès des Templiers qui est lié avec une de mes petites églises de Creuse, que Jean-Marie ALLARD connaît bien aussi. La Maison de Blaudeix était dirigée au moment du procès par un précepteur qui s’appelle Guillaume de Chamborant, assez mal orthographié chez Michelet mais qu’on a pu à peu près identifier, car c'était un des cadets de famille occupant un château proche. Ce personnage a une carrière qui est tout à fait représentative de ce qu’étaient les Templiers au moment du Procès. Il avait été reçu à Paulhac en 1276, puis envoyé Outre-Mer, pour faire la guerre bien sûr, et en fin de carrière seulement, en 1304, il était devenu précepteur de Blaudeix. Cela ouvre des perspectives sur ce qu’était une maison de Templiers au moment du procès. Par exemple la Maison de Blaudeix, puisque nous sommes là. Je parle de maison, je ne parle pas encore de commanderie, je parle aussi de précepteur, c’est pour vous aider à comprendre une réalité qui est une réalité encore une fois rurale. Qu’était une maison de Templiers au moment du procès ? C’était essentiellement un gros domaine agricole, qui était chargé de faire des bénéfices —et en général ça marchait bien, on dit même que les ordres militaires ont inventé le Roquefort— pour pouvoir envoyer de l'argent en Terre Sainte pour alimenter la guerre. Ce ne sont pas des maisons fortes avec des remparts (le Templier installé contre sa lance avec sa cape qui flotte au vent est une image que l’on voit souvent) non, une maison était un gros domaine agricole, qui produisait des surplus et dans laquelle il y avait un précepteur qui n’était pas toujours chevalier, des sergents, des serviteurs, un chapelain parfois, pas toujours, donc assez peu de personnel. Mais ces maisons rapidement étaient devenues en quelque sorte des maisons de retraite, puisqu’il n’y avait plus de guerre en Terre Sainte. Grâce à leurs revenus, elles pouvaient accueillir les vieux militaires chargés de blessures, souvent déjà bien amochés, soit par la captivité, soit par les combats, et ce sont ces gens là que l’on a jugés en 1307.

Guillaume de Chamborant, en tant que précepteur de la Maison de Blaudeix, a été jugé non pas à Paris mais à Clermont où on n’a pas torturé, donc fait partie des gens qui n’ont pas avoué, c’est un petit peu particulier. Est-ce pour cela ou pour autre chose ? Toujours est-il qu’il a été désigné, une fois à Paris, comme l’un des quatre défenseurs ou procureurs de l’honneur de l’Ordre. On a essayé de trouver des gens ayant une petite culture juridique pour défendre l’Ordre, pour signer notamment des pétitions, cela n’a pas été efficace évidemment, mais nous donne une documentation intéressante.

J’ai essayé de suivre le destin de ce guerrier chenu mais je ne sais pas ce qu’il est devenu. Il ne figure pas parmi les bûchers qui ont suivi le procès. On perd sa trace. Alors est-ce qu’il a coupé sa barbe pour se fondre dans le paysage comme certains ? On n’en sait rien. En tous les cas, en tant que l’un des quatre procureurs de l’Ordre, il a signé des protestations, des pétitions indignées, contre l’iniquité subie, protestations tout à fait dignes de modernes défenseurs des Droits de l’Homme.

Parmi les motions conservées il faut remarquer certaines justifications du type : « Nous sommes ceux qui, comme des martyrs du Christ, sont morts dans les tortures avec la palme du martyre… » Il ne s’agissait pas des tortures du procès à ce moment là mais des 80 frères décapités, notamment lors de la perte de la ville de Safed, « … pour n’avoir pas voulu renier le Christ. » Le terme de reniement a aussi cette signification là.

Voilà posés un petit peu mieux mes Templiers de la Creuse par rapport au procès et revenons à Paulhac dont était Précepteur Humbert de Comborn, cadet d’une grande dynastie limousine. Paulhac est la plus grande de ces églises de la Creuse qui constitue un groupe assez homogène. Comme les autres elle paraît, évidemment, très simple : c’est une architecture rurale, mais extrêmement inventive.

L’église est composée d’un certain nombre de travées, voûtées d’ogive, dont la dernière forme le chœur, donc il n’y a pas d’articulation architecturale mais vous pouvez remarquer d’ores et déjà la complexité du voûtement. Extérieurement l'édifice est très sobre, en granit, avec une particularité : il n’est pas appareillé à l’intérieur, ce qui veut dire que dès la construction on a prévu d’enrichir l’intérieur par un enduit et de mettre des peintures murales. Dès l’origine donc, on va réfléchir à un programme peint dans cette église.

Vous voyez ici la subtilité des voûtes qui sont des voûtes à liernes, c’est-à-dire qu’il y a des ogives diagonales mais également des nervures transversales et longitudinales.

On pourrait se dire qu’on connaît bien cela dans la région. Ici, en Poitou, les voûtes nervurées correspondent à des voûtes dites angevines ou dites Plantagenêt. Mais les voûtes de Paulhac ne rentrent pas dans ce type : ce sont des voûtes à nervures multiples mais des voûtes aplaties à la française, à la parisienne. Voilà donc un exemple d’invention ou de réflexion pour embellir une architecture austère, aux murs très épais. Ces voûtes constituent des sortes de baldaquins, figurant en quelque sorte la voûte céleste par opposition à l’espace intérieur peu articulé.

Si l’espace intérieur était très simple, il ne faut pas croire que le mobilier l’était. Nous en reparlerons.

Ces voûtes sont l’occasion de regarder les clés de voûtes dans lesquelles on va retrouver notamment la représentation de l’Agneau de saint Jean Baptiste, ce qui est l’occasion de rappeler que pratiquement toutes les églises, aussi bien celles des Templiers que celles des Hospitaliers de Saint Jean, étaient dédiées à saint Jean Baptiste (saint Jean Baptiste au désert, saint Jean Baptiste le saint de la terre de Jérusalem).


Consoles en encorbellement de l'église de Paulhac


Il y a un certain nombre non pas de piliers mais de colonnettes qui supportent ces voûtes et qui ne vont pas jusqu’au sol. Sans base ni demi-colonne, les colonnettes reposent sur des porte-à-faux, sur des consoles en encorbellements, qui sont extrêmement pittoresques et qui ont donné lieu à toutes sortes d’interprétations un petit peu fantaisistes .

On voit par exemple ce triple masque composé d'une femme avec ce qu’on appelle un touret, c’est-à-dire la coiffe godronnée, un homme jeune et un homme chauve : c’est probablement une façon de résumer les différents groupes humains de la société du village. On voit également un personnage tout à fait étonnant, qui ressemble un peu à un magot et on ne s’est pas privé de dire que c’était peut-être un monstre d'inspiration orientale.

Correctement analysés, l’articulation architecturale et le décor constituent une des preuves que la Maison de Paulhac a pu jouer un rôle majeur en Limousin.


Fresques de Paulhac mur nord


Arrivons au décor peint. Le décor n’a été découvert que récemment et de toute façon il est en très mauvais état parce que, vous le savez sans doute, le Limousin n’est pas une terre riche en chaux. Ce n’est pas une terre calcaire, et les enduits sont assez mal composés ; ils tiennent mal, sur les murs qui sont composés de moellons et très terreux. 

Par rapport à la sévérité de l’architecture, le programme peint que l’on trouve à Paulhac est très virtuose. Il est exécuté avec des couleurs aux nuances assez précieuses, comme du rose, du bleu, du turquoise. L’essentiel du programme forme une bande, c’est-à-dire que c’est un décor en litre, comme les litres funéraires dans les églises. Ce registre est compris entre deux bandeaux : celui du dessus est une grecque, donc une composition peinte assez sophistiquée. Il déroule sous nos yeux une série hagiographique, c’est-à-dire une série de scènes tirées des vies des saints, qu’il a été difficile d’identifier parce qu’il n’y a pas d’inscription.

Interprétation des fresques de Paulhac mur nord


Toutefois, j’ai pu reconnaître, vous le voyez sous des couleurs qui sont tombées, des apôtres prêchant, probablement les deux saint Jacques, ici le martyre de saint Jacques le Mineur, un des apôtres, abattu par une perche de foulon et le martyre de saint Jacques le Majeur. On devine —mais vraiment on devine— un petit pèlerin qui assiste au martyre, et un grand soldat pourvu d’une cotte de mailles noire qui est censé être un bourreau mais qui est en fait un Sarrasin. Il est décapité par un immense soldat à l’armure noire, couleur attribuée par l’imaginaire médiéval aux Sarrasins. Et on inverse donc la représentation légendaire de saint Jacques qui n’est plus Jacques le tueur de Maures ou Matamore, mais qui est au contraire tué par un Sarrasin.


suite de l'interprétation des fresques de Paulhac mur nord


On trouve ensuite un autre martyre d’apôtre qui est le martyre de saint Barthélemy qui a été lacéré, mis dans un sac, sac jeté dans la mer au bout d’une rame.

Le martyre de saint Marc se trouve juste après. Saint Marc a été jeté dans une prison qui est représentée comme un puits. Vous pouvez me croire sur parole. (rires dans la salle)


suite 3 de l'interprétation des fresques de Paulhac mur nord


Le martyre de saint Simon est assez particulier: cet apôtre a été scié en deux sur un tronc d’arbre que deux bourreaux scient comme des scieurs de long, et l’âme est recueillie par deux anges.

Ensuite voici une scène que l’on trouve pratiquement dans tous les programmes des Templiers ou des Hospitaliers, qui est la décollation de saint Jean Baptiste dans sa prison (quand je vous disais que les églises étaient dédiées à saint Jean Baptiste, j'aurais dû préciser qu'elles sont dédiées à la décollation de saint Jean Baptiste). Remarquez cette insistance sur le martyre. On trouve enfin une scène du crucifiement de saint Pierre, la tête en bas, un autre apôtre, un autre martyr. Cette bande sur le mur nord se termine par une scène très abîmée qui montre un évêque —peut-être saint Martial puisqu’on est en Limousin— je ne pourrai même pas vous la montrer.

De part et d’autre de la scène de la baie axiale, de la fenêtre, (même sur place les lumières de la fenêtre effacent un peu les images) se trouvent des scènes d’une plus haute valeur théologique, dogmatique en tous les cas. On trouve sur le mur gauche d’abord une Vierge à l’Enfant, surmontée d’une Crucifixion ; à droite de la baie une sainte qui se fait arracher les seins et qu’on avait longtemps identifiée à sainte Agathe puisqu’elle est connue pour cela, mais en fait c’est un martyre de sainte Catherine.

Sainte Catherine est également une image très fréquente chez les Templiers et les Hospitaliers. Sainte Catherine peut être reconnue parce qu’en haut figure la roue qui a explosé quand on a voulu lui infliger le supplice de la roue. On voit très nettement, sur place, les éclats de la roue qui viennent se ficher sur le crâne du bourreau. La roue est l’attribut de sainte Catherine, cela ne me semble faire aucun doute et par ailleurs, dans certains martyrologes on lui arrachait les seins avant de la décapiter.

La fenêtre maintenant prend une valeur particulière, entre la Vierge et sainte Catherine. Sur les ébrasements on trouve à gauche un Arbre de Jessé, c’est-à-dire une grande image de la généalogie du Christ, une image végétale que l’on voyait dans les grands vitraux, à droite les travaux des mois dans des petits cadres rectangulaires. Voici un détail de l’Arbre de Jessé où l’on voit David et Salomon avec des couleurs bleu et jaune… et ici un détail qui montre la roue de sainte Catherine éclatant et faisant tomber le bourreau au pied de la roue.

La technique ne semble pas très délicate parce que l’enduit est de mauvaise qualité mais on a retrouvé par lumière rasante des traces d’incision qui montrent la technique utilisée pour mettre ces peintures en place et en même temps des petits trous dans l’enduit qui prouvent que les nimbes autour de la tête des saints étaient probablement décorés avec des bouts de verre ou des choses brillantes. Cela devait être en fait un effet très précieux, très riche : la vraie richesse de Paulhac est dans cette peinture.

Au regard des techniques ou du style utilisés, de quand dater cette œuvre ? Vous avez ici, et il y en a aussi dans la Maison juste derrière moi, des croix de consécration, c’est-à-dire des croix inscrites dans un cercle, nécessaire à la dédicace de l'édifice.

Il ne faut pas prendre ces croix pour la représentation des croix des Templiers sous prétexte qu'elles sont pattées comme la croix de Malte. Les scènes passent devant la croix de consécration donc la peinture est intervenue bien après l’architecture. Je situe l’architecture entre 1220 et 1250 et des comparaisons peuvent amener une datation de la peinture entre 1240 ou 1250 et la fin du siècle.

On peut évidemment mener des comparaisons, notamment à partir de la Vierge à l’Enfant, mais c’est quand même une image très hiératique, très figée, donc difficile à interpréter. Je voudrais dire à ce propos que, s’ajoutant à la préciosité du décor peint, il y avait généralement dans les églises des Templiers des statuettes et un mobilier assez riche. On a retrouvé au moins deux de ces statuettes en Limousin, deux Vierges à l’Enfant qui sont assez petites, (environ 50 cm de haut) qui sont faites en cuivre doré et émaillé : elles datent de la même époque et ont la même attitude que la Vierge de Paulhac. Cette statue se situe toujours dans l’église originaire, qui est l’église des Hospitaliers de Breuilhaufa à côté de Bellac.

Ces objets pouvaient servir à contenir des hosties ou pouvaient servir de reliquaire et on mesure donc l’écho entre le programme de peinture murale et le mobilier ou les reliquaires. 

Peut-être voyez-vous un tout petit peu mieux la bande à l'aide de mon dessin, aussi vais-je tenter maintenant une interprétation. Je vous ai dit que la datation que je donnais à l’œuvre devait se situer entre 1245 et 1291, c’est la raison pour laquelle j’ai intitulé assez pompeusement un article que j’ai commis il y a quelques années : « L’imitation des Apôtres et le martyre au combat, les aspirations des Templiers de Paulhac entre l’abandon de Jérusalem et la chute d’Acre. » Effectivement, si mon appréciation est juste —mais je donne une estimation très approchée évidemment— on se situe entre 1244, qui est la date de l’abandon définitif de Jérusalem —on ne savait pas que c’était définitif— et 1291 qui est la chute de Saint Jean d’Acre, la dernière place chrétienne en Terre Sainte. 1244 est la date le la défaite de La Forbie, après la récupération de Jérusalem par Frédéric II.

La gravité de la situation en Terre Sainte est très grande à ce moment là. En 1274, au Concile de Lyon, les délégués du Temple sont priés d’agir à la fois pour l’Ordre et selon une expression étonnante : on leur demande d’agir « pro re publica », c’est-à-dire pour le bien public. Les pertes humaines sont absolument énormes : ainsi sur un contingent de 312 Templiers à La Forbie, 33 survivent. En 1250 à Mansourah, 2 Templiers s’échappent, sur un total de 280. C’est évidemment la mort la plus glorieuse du monde, mais c’est quand même assez dramatique. Et comme vous l’a dit Jean-Marie ALLARD, quand on faisait prisonnier un Templier on savait que c’était l’élite, d’autant qu'à ce moment là il n’y avait plus guère que les Templiers dans les batailles. En général, on le décapitait.

C’est sur cet arrière-plan qu’a été conçue notre œuvre. C’est aussi l’époque des Croisades de Louis IX, il ne faut peut-être pas l’oublier, entre 1248 et 1270, Croisades assez malheureuses. Effectivement on remarque la fréquence des martyres, des décollations, des décapitations.

Signalons aussi que ces scènes révèlent un certain rapport d’intimité avec les apôtres : tous ceux que je vous ai montrés sont des apôtres ou des évangélistes. Il pourrait y avoir dans ces scènes la volonté de reproduire une sorte de géographie sacrée parce que ces saints sont justement deux qui font l’objet de pèlerinages en Terre Sainte. Pèlerinages en Galilée, dans lesquels les places fortes templières d’Acre et de Safed servaient de relais et de protection. Une véritable géographie sacrée des martyres des apôtres ne serait pas invraisemblable au regard notamment de la pensée fondatrice de saint Bernard dont nous avons déjà beaucoup parlé.

Est-ce qu’il s’agit d’un appel au martyre dans le contexte de cette époque ? C’est possible, mais il faut bien dire que le goût pour la représentation des martyrs est très général et les temps sont ceux —et ce sera ma dernière référence— de l’écriture de la fameuse Légende dorée de Jacques de Voragine, c’est-à-dire que l’attention presque doloriste au martyre des saints est vraiment dans l’esprit du temps.

Je vais maintenant très rapidement essayer de savoir si le programme de Paulhac est un programme exceptionnel. On s’aperçoit, quand on fait une brève enquête que les Templiers et les Hospitaliers —parce que là je ne peux pas les séparer, c’est la même conception— ont beaucoup utilisé la peinture murale pour décorer leurs édifices.

Je vais faire des comparaisons par cercles concentriques. Chez les autres Templiers, notamment les Templiers limousins pour commencer, il existe une petite maison qui est en état de ruine comme vous pouvez l’apercevoir, est formée d’un simple rectangle avec un triplet de baies : la Maison de La Bussière-Rapy. Elle est reconnue dans les Actes du procès (si on n’avait pas les Actes du procès on n’aurait vraiment rien sur les Templiers, on est obligé de faire une sorte d’histoire rétrospective). Elle est également répertoriée dans les listes de ces actes épiscopaux dont je vous ai parlé. L'église des Templiers de La Bussière-Rapy est antérieure à tout ce que nous avons vu, à tout ce qui existe chez les Templiers et les Hospitaliers, mais elle a un enduit très soigné avec des faux joints, des petites fleurettes. On constate donc une utilisation particulière de l’enduit comme un habillage qui la rend beaucoup plus délicate.

Allons plus loin maintenant, il y a une œuvre célèbre pour tout le monde dans la région, au Dognon, lieu dont on vous a parlé et qu’on connaît sous le nom de Cressac, en Charente Maritime. Là on trouve comme à Paulhac à la fois des allusions précises aux combats des Templiers (la scène la plus célèbre), mais aussi de plus grandes scènes comme ici le Cavalier Constantin, c’est-à-dire le paganisme écrasé par le christianisme.

Auzon fournit un autre exemple de peinture murale des Templiers.

Il y a d’autres exemples en France comme Montbellet en Bourgogne. Je tenais beaucoup à cette comparaison parce que là nous voyons une sainte Catherine. Vous voyez que c’est un thème qui est très lié au Mont Sinaï, très lié au désert. Le premier intérêt est que c’est une sainte Catherine. Deuxième intérêt, elle porte une des croix de consécration de l’église. Souvent, on fait porter les croix de consécration par les motifs de la peinture. Troisième intérêt, la peinture n’est pas terminée, le visage est brossé avec un trapèze, c’est-à-dire qu’on ne voit plus que les traces du dessin préparatoire, cela veut probablement dire que cette peinture a été exécutée en 1307 et qu’évidemment on a arrêté les programmes, on ne pouvait plus payer les peintres etc… et on vous a dit que la fortune des Templiers était allée aux Hospitaliers, mais non sans longues tractations et au bout d’un certain temps. Très certainement, on ne pouvait pas continuer à orner les églises en 1307.

Ce qui m’amène à dire qu’il est très important de dater une peinture avant 1307 ou après 1307. À mon avis les programmes peints des Templiers d’Auvergne sont antérieurs à 1307, malgré ce qu’on a dit.

Autre exemple qui fait réfléchir, la petite église des Templiers de Montsaunès, en Comminges, est une église construite en briques, assez tôt, dès le XIIème siècle. Elle doit être à peu près contemporaine de l’église d’Auzon, et elle a été peinte avec des peintures très étranges, très énigmatiques, des cortèges d’apôtres à la base de la voûte, mais beaucoup de peintures à décors géométriques, des échiquiers, des croix, des choses comme ça. Voilà à la fois une croix de consécration et une croix de Malte, une croix rouge de Templier en fait.

Or à Montsaunès il y a aussi des chapiteaux sculptés, avec notamment le crucifiement de Pierre et à droite le martyre de saint Etienne, ce qui veut dire que l’habitude de représenter les martyres des saints chez les Templiers remonte au XIIème siècle. De fait, il n'existe aucune raison d'imaginer que la sculpture est bannie dans les églises des Templiers, mais comme la fortune des Templiers s’est surtout développée en pays rural au XIIIème siècle, de fait on a davantage de peintures murales ou de programmes d’orfèvrerie.

Maintenant un autre cercle, celui des Hospitaliers. Tout à fait extraordinaire apparaît l’église des Hospitaliers de La Croix-au-Bost en Creuse , qui avait également une paroisse, ayant été ensuite rattachée à la commune voisine —donc il y a eu une « vengeance » posthume aussi contre les Hospitaliers, pas seulement contre les Templiers— Cette église est entièrement peinte avec des faux joints et des bandes ornementales. Les scènes principales présentent les apôtres, encore une fois, mais des apôtres qui tiennent directement les croix de consécration. Cela devient donc un schéma tout à fait intéressant d’associer les 12 apôtres aux 12 croix de consécration de l’église. Ce schéma, dans l’iconographie, dans la représentation, est alors très à la mode, souvent dans des lieux prestigieux, ainsi à la Sainte Chapelle de Paris entre 1243 et 1248, où l’on a mis des statuts d’apôtres portant les croix de consécration. On trouve aussi ce schéma là pour la même époque, dans une église d’une île suédoise : cela veut donc dire que c’est un schéma internationalement connu et apprécié à cette époque là.

Vous voyez que les programmes des Templiers et des Hospitaliers ont une valeur universelle, ils se placent bien dans leur temps, outre le fait qu’ils supposent de grands moyens.

Voilà cette fois la Croix de saint Jean, après celle de saint Pierre. On est probablement au milieu du XIIIème siècle. Enfin saint Jacques et cette fois il y a des inscriptions.

Toujours chez les Hospitaliers de la Creuse, un des sites les plus connus est le site de Lavaufranche, car on y voit encore une commanderie au sens propre du terme, c’est-à-dire un ouvrage fortifié qui est bien plus tardif, bien entendu. Mais dans la petite chapelle rectangulaire, on a un programme peint qui a été exécuté antérieurement en deux étapes. Appartient à la première campagne la vie de saint Jean Baptiste (c’est vraiment un grand classique chez les Hospitaliers et les Templiers), avec la danse de Salomé, la décapitation de saint Jean Baptiste. Au dessous la représentation d’une bataille : cette fois les croix sur les manteaux des chevaliers sont des croix noires sur fond blanc, rappelant que seuls les Templiers avaient le droit de porter la croix rouge sur fond blanc, c’est une distinction entre les différents ordres militaires. Le deuxième programme rajouté au XIVème siècle, montre des saints locaux comme sainte Valérie qui apporte l’agneau du martyre ; sainte Valérie qui a été décapitée aussi. Vraiment l’insistance sur la décapitation est quelque chose d’assez pesant.

On pourrait multiplier les exemples, surtout si on quittait la France, mais je voudrais terminer par une œuvre qui se trouve à Lugault, dans une Maison des Hospitaliers, complètement isolée dans les Landes. En 1961 on a retrouvé tout un programme peint qui présente la Visitation, l’Annonciation, la Crucifixion, le Jugement Dernier. Ces scènes ont une grande valeur universelle et dogmatique. Cette œuvre serait contemporaine de toutes celles que je vous ai présentées, c’est-à-dire le milieu du XIIIème siècle.

Or, la peinture de Lugault possède un style tout à fait différent, beaucoup plus archaïque, beaucoup plus orientalisant, beaucoup plus byzantinisant que tout ce que nous avons vu. Nous pouvons donc constater que tous ces programmes peints sont différents par le style et par la réalisation. Ce qui veut dire qu’il n’y avait pas des artistes spécialisés dans les peintures des Templiers ou des Hospitaliers. On faisait appel aux meilleurs artistes, et peut-être que celui-ci s’est inspiré des images byzantines, ce qui n’est pas du tout le cas de celui de Paulhac.

Dans le cas de Lugault, on a une scène de donation qui est particulièrement intéressante parce qu’elle est accompagnée par une inscription que l’on a pu déchiffrer : elle met en scène le Commandeur, un membre de la famille d’Albret, Amanieu V, mort en 1240 —donc l'oeuvre est un peu antérieure à 1240— qui apporte aux Hospitaliers une sorte de livre qui est en fait un parchemin de fondation. Et au-dessus de cette scène de la donation de la chapelle, se trouve une chevauchée du Précepteur, toujours Amanieu V d’Albret.

Pour revenir en boucle à ma longue introduction, la donation de Lugault constitue donc une exception pour ce qui concerne les rapports entre les Templiers ou Hospitaliers et l’écrit, puisqu’il semble y avoir eu une charte de donation, mais elle ne se trouve que dans la peinture. Autrement dit, c’est la peinture qu’il faut lire, ce sont ces vestiges qu’il faut lire pour vraiment approcher la culture —si culture il y a, mais il y a culture forcément, même si ce n’est pas une culture écrite— des Templiers et des Hospitaliers. Nous pouvons aussi approcher ce qu’ils étaient chargés de transmettre à leurs paroissiens, dans le cas où ils avaient des paroissiens, et je crois que le cas du Limousin n’est pas isolé à cet égard.

Je vous remercie. (applaudissements)

en conférence
Mme Claude ANDRAULT-SCHMITT