L6 - Lettre de Gui à son frère - 1249

 

 

Date : 1249

Auteur : Gui

Edition utilisée : « Spicilegium » Tome III de Dom Luc d’Achery 1655 p. 624 et suivantes

Edition traduction : « Nouvelle collection des mémoires pour servir à l’histoire de France » Tome I de Michaud et Poujoulat 1836 pages 350 et suivantes.

 

 

 

     Cette lettre en latin a été éditée dans le « Spicilegium » Tome III de Dom Luc d’Achery 1655. Elle provient d’un jeune pèlerin nommé Gui de la maison du vicomte de Melun, étudiant à Paris qui donne des nouvelles à son frère. Elle a été écrite à Damiette avant le départ pour Mansourah ce qui la fait dater de 1249. Cette même lettre est citée par Matthieu Paris dans ses addimenta. Elle raconte en détail tous les évènements ayant abouti à la prise de Damiette. Elle ressemble trop au style de Matthieu Paris pour ne pas avoir été « retouchée » par ce chroniqueur. Notamment pour ce qui est de la harangue de Louis IX avant le débarquement. Achery se serait donc contenté de recopier ce passage dans la Chronica Majora de Matthieu Paris. D’autres passages semblent plus réels et plus touchants. Les faits rapportés s’écartent quelque peu de la version officielle, en particulier le fait que la flotte cinglait vers Alexandrie et qu’après une tempète elle s’est retrouvée près de Damiette où elle était peu attendue, ce qui expliquerait la faible résistance des Sarrasins. Cette information est donnée uniquement par cette source et reste peu crédible (« The seventh crusade » de Peter Jackson 2007 page 2). Peut être s’agit-il d’une fausse information destinée à désinformer d’éventuels espions.

 

 

Rex igitur, omni timore proditionis deposito, non in effusione sanguinis vel armorum strepitu, civitatem nemine contradicente, intravit ante horam nonam ; nullo etiam vulnerato graviter de intrantibus praeter comitem de Marchia Hugonem Brunum ; qui, eliquato sanguine de vulneribus, non potest ut credimus mortem evadere. Ipse namque prodigus sui propter proba quae sustinuit in medios hostes temerarius se ingressit ; et ponebatur in prima turma sponte bellantium tanquam suspectus ; quod et ipsum non latuit. Nec praetereundum est, quod cum propositum habuissent Sarraceni fugiendi, jecerunt versus nos ignrm Graecum copiosum et efficacem, quod erat nobis periculosum valde et mortiferum ; quia ventus asper fuit flans a civitate versus nos. Et ecce ventus illico retroversus ignem suum respersit in civitatem, et combussit multa eorum corpora et castra ; et plura combussisset, sed sclavi accedentes continuo, qui jam pauci remanserunt, suis notis extinctoriis, necnon et precibus, divino nutu, ne nobis Dominus civitatem combustam daret, extinxerunt. Cum igitur ipsa die vere Dominica dominus rex cum maximo tripudio, ut praetactum est, intravisset, illico ad templum ipsorum Sarracenorum intravit, oraturus rt Deo haec omnia merito ascripturus. Et sollempniter nimis antequam cibum sumpisset, prorumpentibus prae gaudio jocundis et devotis lacrimis, cecinerunt fidèles, incipiente legato, hymnum Angelorum, videlicet Te Deum laudamus. Et statim ubi dudum Christiani Missam consueverant celebrare et campanas pulsare, expiato loco et asperso per aquam benedictam, fecit celebrare Missam de Beata Virgine ; ubi quarta die praecedente prout captivi nobis assertive asserebant, spurcissimusMachometus cum detestabilibus immolationibus et vocibus altisonis et tubarum clangore magnificabatur. Invenimus autem in civitate cibariorum, armorum,et machinarum, necnon vestimentorum preciosorum, vasorum, utensilium, auri, argenti, et aliorumbonorum copiam infinitam. Et praeter haec statim fecimus apportare victualia nostra de navibus, quorum copiam habuimus, et alia nobis cara ac necessaria. Propitiante igitur nobis divina munificentia, exercitus Christianus  ad instar stagni, quod ex torrentibus inundantibus suscipit incrementum, cotidie dilatatur ; hinc militia de partibus domini de villa Herlewini, hinc de militia Templi et Hospitalis nobis subsidium; absque peregrinorum adventu, diatim per Dei gratiam accumulatur subsidium. Veruptamen ipsi de Templo et Hospitali de gloria tanti triumphi credere diu noluerunt ; quia revera nulli fuit credibile quod evenit. Quia igiturhaec miraculose evenerunt, praecipue quod ventus suum ignem infernalem in sua capita reverberavit regressus, et hoc fuit de antiquis Christi miraculis,quia sic Antiochiae evenit, conversi sunt aliqui ad Dominum Jesum Christum, et fideliter nobis hactenus adhaeserunt. Nos autem ex praeteritis praemuniti, de caetero caute et circumspecte procedemus in agendis. Habemus enim fidèles nobiscum Orientales, de quorum fidelitate minime dubitamus, qui omnia fere Orientalium climata et eorum pericula experimento cognoverunt ; qui in veritate devotionis jam Baptismi sacramentum susceperunt. Optimates igiturnostri, quando haec scribebantur, consilium habuerunt cum tractatu diligenti, in proximo invadere Alexandriam vel Babiloniam cum Kaira ; sed quid erit inde nescimus adhuc ; cum autem factum fuerit, vobis vita comite significabimus.

Le roi ne craignant plus d’embûche, entra à neuf heures dans la ville, sans obstacle et sans effusion de sang. De tous ceux qui y sont entrés, il n’y en eut de blessé grièvement que Hugues Brun, comte de La Marche, qui perdit trop de sang par ses blessures pour survivre. Je ne dois pas oublier de dire que les Sarrasins, après avoir résolu de fuir, lancèrent contre nous beaucoup de feu grégeois qui nous était très nuisible, parce qu'il était poussé par un vent qui venait de la ville ; mais ce vent ayant changé tout à coup, reporta le feu sur Damiette, où il brula plusieurs personnes : il aurait consommé plus de choses, si les esclaves qui étaient restés ne fussent venus l’éteindre par le procédé qu’ils connaissaient et aussi par la volonté de Dieu ; le roi étant donc entré dans la ville au milieu des acclamations de joie, alla aussitôt, dans le temple des Sarrasins, prier et remercier Dieu qu’il regardait comme l’auteur de ce qui venait d’arriver. On y chanta le Te Deum, et après qu’il eut été purifié, on y célébra la messe. Nous avons trouvé dans la ville une quantité infinie de vivres, d’armes, de machines, de vêtements précieux, de vases, d’ustensiles d’or, d’argent et autres choses. Nous avons fait, en outre, apporter nos provisions des vaisseaux et d’autres objets qui nous étaient nécessaires. Par un effet de la magnificence divine, l’armée chrétienne, tel qu’un étang que des torrents qui viennent s’y jeter grossissent considérablement, s’est augmentée chaque jour de l’ordre teutonique, de l’ordre du temple et des hospitaliers, sans parler des pèlerins qui arrivaient à tout moment. Les Templiers et les Hospitaliers ne voulaient pas croire d’abord à un pareil triomphe ; en effet, rien de tout ce qui était arrivé n’était croyable ; tout cela tient du miracle, ce feu grégeois surtout que le vent a reporté sur la tête de ceux qui l’avaient lancé contre nous. Pareil miracle eut lieu jadis à Antioche…/…Pendant que je vous écris, nos chefs tiennent conseil sur ce qu’il faut faire. Il s’agit de savoir si l’on se portera sur Alexandrie ou sur le Caire. Je ne sais encore ce qui sera décidé ; je vous informerai de ce qui arrivera.