Chronique de Thabari



Date approximative : 1298

Précision sur le titre : 

Auteur : Gémal-Eddin (Mohammed Ibn-salem Gémal Eddin) on l’appelle aussi Ibn Wasil, Cadhy Gémal-Eddyn étant un surnom -

Edition utilisée : « Extraits des historiens arabes relatifs aux guerres des croisades » de Reinaud 1829 pages 457 et suivantes.


 

     Mohammed Ibn-salem Gémal Eddin est né à Hamah (Syrie) en 1207 et fut cadi (juge et notaire) de cette ville fuyant les Kharismins en 1243 il se réfugie au Caire en Egypte. Logé chez le gouverneur du Caire, il était d’autant plus proche des sources de renseignements que le gouverneur avait été chargé de négocier avec Saint Louis. En 1260 il fut nommé ambassadeur auprès du fils naturel de Frédéric II, Mainfroi roi de Naples et de Sicile. Il meurt en 1298 après avoir été nommé cadi des cadis. Aboulféda, l’ayant cotoyé à Hamah, appréciait particulièrement les connaissances étendues de Gémal Eddin. Il écrivit une histoire générale de l’Islamisme, une histoire du sultan Malek-Saleh et une histoire des Ayoubites intitulée « Remède contre le chagrin ». La citation de Gémal Eddin est tirée d’un ouvrage inséré dans la chronique du faux Thabari - appelée ainsi parce qu'un faussaire avait essayé d’attribuer ce livre à Thabari pour lui donner plus de valeur - qui commence par six volumes de Ibn-Alatir, il en constitue la première continuation après 1237. La fin de la chronique est écrite par Ali Ibn-Abd-Alrahim secrétaire des princes de Hamah. Le manuscrit faisait partie de la collection de la Bibliothèque Royale.

 

 

 

     Au commencement de Ramadan [3 décembre], il s’engagea un premier combat entre l’armée chrétienne et les avant postes musulmans : un émir et plusieurs soldats y souffrirent le martyre. Les Francs arrivèrent ensuite au lieu appelé Scharmesah, quelques jours après à Baramoun, et enfin sur le canal d’Aschmoun, en face de Mansoura. On était alors au 13 de Ramadan, et la consternation était générale. Les chrétiens campèrent au même endroit où ils s’étaient placés trente ans auparavant : de son coté, l’armée musulmane était rassemblée à Mansoura, occupant les deux rives du Nil ; elle n’était séparée de l’ennemi que par le canal d’Aschmoun. Les Francs s’entourèrent d’abord de fossés, de murs et de palissades ; ils dressèrent aussi leurs machines, et les firent jouer contre ceux qui défendaient la rive opposée. Ils avaient leur flotte à portée sur le Nil. Pour la flotte musulmane, elle était aussi sur le Nil, et avait jeté l’ancre sous les murs de Mansoura. On commença par s’attaquer à coups de traits et de pierre, tant sur terre que sur le fleuve. Il ne se passait presque pas de jour sans quelque combat ; chaque fois un certain nombre de chrétiens étaient tués ou faits prisonniers : des braves de l’armée musulmane allaient jusque dans leur camp et les enlevaient dans leur tentes ; quand ils étaient aperçus, ils se jetaient à l’eau et se sauvaient à la nage. Il n’y avait pas de ruse qu’ils ne missent en œuvre pour surprendre les chrétiens. J’ai ouï dire qu’un d’eux imagina de creuser un melon vert et d’y cacher sa tête ; de manière que, pendant qu’il nageait, un chrétien s’étant avancé pour prendre le melon, il se jeta sur lui et l’emmena prisonnier. Vers le même temps, la flotte musulmane s’empara d’un navire chrétien monté par deux cents guerriers. Un autre jour, dans le mois de schoual [janvier 1250], les musulmans traversèrent le canal et attaquèrent les chrétiens dans leur propre camp ; plusieurs d’entre les Francs perdirent la vie, d’autres furent faits prisonniers ; le lendemain il en arriva soixante-sept au Caire, entre lesquels on remarquait trois templiers. Un autre jour, la flotte musulmane brûla un vaisseau chrétien.

 

      Cependant le canal qui séparait les deux armées n’était pas large, et encore il offrait plusieurs gués faciles. Un mardi 5 de doulcada [8 février], la cavalerie chrétienne, conduite par un perfide musulman, passa à gué à l’endroit nommé Salman, et se déploya sur l’autre rive. Ce mouvement fut si subit, qu’on ne s’en aperçut pas à temps : les musulmans furent surpris dans leur propres tentes. L’émir Fakr-eddin était alors au bain. Aux cris qu’il entendit, il sortit précipitamment et monta à cheval ; mais déjà le camp était forcé, et Fakr-eddin, s’étant avancé imprudemment, fut tué. Dieu ait pitié de son âme ! Sa fin ne pouvait être plus belle. Il avait joui de l’autorité un peu plus de deux mois.

 

     Cependant, le frère du roi de France avait pénétré en personne dans Mansoura. Il s’avança jusque sur les bords du Nil, au palais du sultan. Les chrétiens s’étaient répandus dans la ville. Telle était la terreur générale, que les musulmans, soldats et bourgeois, couraient à droite et à gauche dans le plus grand tumulte ; peu s’en fallut que toute l’armée ne fût mise en déroute. Déjà les Francs se croyaient assurés de la victoire, lorsque les mameloucks appelés giamdarites et baharites, lions des combats et cavaliers habiles à manier la lance et l’épée, fondant tous ensemble et comme un seul homme sur eux, rompirent leurs colonnes et renversèrent leurs croix. En un moment ils furent moissonnés par le glaive, ou écrasés par la massue des Turcs ; quinze cents d’entre les plus braves et les plus distingués couvrirent la terre de leurs cadavres. Ce succès fut si prompt, que l’infanterie chrétienne, qui déjà était parvenue au canal, ne put arriver à temps. Un pont avait été jeté sur le canal. Si la cavalerie avait tenu plus long-temps, ou si toute l’infanterie chrétienne avait pu prendre part au combat, c’en était fait de l’islamisme : mais déjà cette cavalerie était presque anéantie ; une partie seulement parvint à sortir de Mansoura et se réfugia sur une colline nommée Gédilé, où elle se retrancha. Enfin la nuit sépara les combattants.