Gesta sanctae memoriae Ludovici regis Franciae ou Vie de saint Louis



 

Date approximative : 1293

Précision sur le titre : 

Auteur : Guillaume de Nangis, Guillermo de Nangiaco garde des chartes à Saint Denis.

Edition utilisée : Edition de Daunou et Naudet « Recueil des historiens des Gaules et de la France » Tome XX p. 309

Edition traduction : Idem page suivante - En 1761 Caperonnier édita la traduction française qui parait être l’œuvre de Nangis lui-même (colonne du centre)

Fiche Arlima ou CartulR :  Arlima  

 

 

     Nous ne connaissons rien de la vie de Guillaume de Nangis sauf qu’il était moine bénédictin à l’abbaye de saint Denis (Frater Guillelmus de Nangis, ecclesiae Sancti Dionysii in Francia indignus monachus). Il occupa la charge de garde des chartes de 1286 à 1300 donc de biographe officiel de saint Louis. Il est mort en 1300. On lui doit une chronique latine couvrant la période de 1113 à 1300 qui sera continuée par un autre moine anonyme jusqu’en 1368. Il est l’auteur d’une chronique des rois de France, d’une vie de saint Louis et de ses frères et d’une vie de Philippe le Hardi et Robert de France. Ces textes forment la base des Grandes Chroniques de France qui cependant diffèrent du texte de Guillaume de Nangis pour certains détails. Voir le texte de H. François Delaborde dans le Tome 44 de la « Bibliothèque de l’école des chartes » 1883 page 192.

 

      La vie de saint Louis est dédiée à Philippe le Bel. Elle est légèrement antérieure aux Chroniques. Guillaume de Nangis a terminé l’œuvre de Godefroy de Beaulieu confesseur du roi pendant 20 ans et de Gilon de Rheims moine de saint Denis auteur d’une histoire de saint Louis que la mort avait empêché de terminer. La première édition est celle de Pithou en 1596 puis Duchesne en 1649 à partir du manuscrit 5925 de la Bibliothèque de la reine. En 1761 Caperonnier édita la traduction française qui parait être l’œuvre de Nangis lui-même à partir des manuscrits 9648 du fond Colbert et 282 de la Bibliothèque de la reine.

 

Ia - Année 1245 - Page 346 - 192 - Rappel des exactions commises par les Chorasminiens

 

 

Eodem tempore venerunt quidam nuncii credibiles de ultramarinis partibus, rumores veros quidem, sed pessimos afferentes. Nam quidam infideles, qui Grossoni vocabantur, terram sanctam intraverunt, et in sancta civitate Hierusalem furaliter debacchantes, proh dolor ! non solum ipsam civitatem, sed etiam ecclesiam sancti Sepulchri sanguine fidelium repleverunt, conditioni, sexui, vel aetati non parcentes. Tunc adimpletum est illud quod per prophetam diu ante fuerat peroratum : Deus, venerunt gentes in haereditatem tuam, polluerunt templum sanctum tuum. Posuerunt morticina servorum tuorum, escas volatilibus coeli ; carnes sanctorum tuorum, bestiis terrae. Effunderunt sanguinem ipsorum tanquam aquam in circuitu Hierusalem, et non erat qui sepeliret. Lidem etiam infideles in Gazara cum nostris Christianis, in quo non solum Templi militia ceciderat, verum etiam Hospitalis, potentumque et nobilium terrae sanctae non modica multitudo. Unde et quamplurimum timebatur, ne ipsi infidelesinfra breve tempus totam illam terram caperent et destruerent, quae tot Christianorum sanguinibus et sudoribus fuerat acquisita.

En cel meismes temps vindrent novelles certaines doutremer ; mès dures et pesmes estoient : car unes desloiaus gens crueus et renoyé, que on apelois Groyssoins, estoient entré en la sainte terre de Jherusalem ; les hommes et les fame et les enfans tuerent et occirent sanz espargner nului ; il espandirent le sanc des gens, non par la cité seulement, mais toute leglise dou sepulcre Nostre Seigneur en conchierent. Et lors fu acomplie la prophecie que David dist : « Diex, unes gens mescreans sont venues et entrez dedens ton temple et dedens ton heritage ; il ont conchié ton temple de vilaines ordures, et ont tes serjans occis ; les chars en ont abandonnées aus oysiaus du ciel et au bestes de la terre ; leur sanc ont espandu entour Jherusalem aussi comme yaue, et ne fu qui les ensevelist. » Ceste crueuse gent avoient ja pardevant esté en Gazaire, et avoient la cité prise et occis les crestiens, les Templiers et les Hospitaliers, et bien près tous les nobles du pays ; dont on doutoit que en brief temps il ne preissent et destruissent toute la terre doutremer, qui avoit esté acquise par grans sueur et par grans travaus de crestiens.

En ce temps là arrivèrent d’outre-mer de très mauvaises nouvelles dures à entendre. En effet des gens déloyaux, cruels et infidèles, appelés Korasmiens, étaient entrés à Jérusalem en Terre Sainte. Ils y tuèrent hommes, femmes et enfants sans épargner personne. Ils versèrent le sang non seulement en ville mais ils souillèrent également toute l’église du Saint Sépulchre. Ce qui avait été prévu par la prophétie de David qui dit : « Dieu, des mécréans sont venus et sont entrés dans le temple qui t’appartient ; ils ont sali ton temple de leurs ordures et ont tué tes serviteurs ; leurs chairs ont été abandonnées aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre ; ils ont versé leur sang tout autour de Jérusalem comme de l’eau et leur ont refusé toute sépulture. » Ces cruels avaient auparavant envahi Gaza, avaient pris la cité, tué les chrétiens, Templiers comme Hospitaliers, ainsi que pratiquement tous les nobles du pays. On redoutait qu’en peu de temps ils ne prennent et détruisent toute la terre d’outre-mer qui avait été conquise par les chrétiens qu’après tant de sueur et de grands travaux.


 

Ib - Année 1245 - page 348 - 194 – Sentence prononcée au concile de Lyon contre l’empereur Frédéric - Ce passage est similaire à celui de Matthieu Paris Tome IV page 451.

 


Secunda causa fuit, quod pacem inter ecclesiam et imperium reformatam temere violavit. Nam cum diu ante, tempore pacis inter ipsum et ecclesiam reformatae, jurasset coram duobus cardinalibus, praesentibus multis praelatis et princibus, quod staret et pareret praecise absque ulla conditione omnibus mandates ecclesiae super his pro quibus erat vinculo excommunicationis astrictus, causis excommunicationis ejusdem expressis per ordinem coram ipso, remittendo omnem poenam et offensam hominibus Theutonicis et regni Siciliae, ac quibuscunque aliis qui ecclesiae contra ipsum adhaeserant, et quod nullo tempore offenderet, vel offendi faceret ipsos pro eo quod ecclesiae adhaesissent, postmodum juramenta et pacem hujusmodi non servavit, necquaquam erubescens perjuries irretiri. Nonnullos enim ex ipsis hominibus tam nobiles quam ignobiles capi fecerat, et eis bonis omnibus expolliatis, uxores eorum et filios captivaverat, ac terras ecclesiae contra provisionem quam dictis cardinalibus fecerat, invaserat imprudenter, licet ipsi ex tunc in eum praesentem, si contraveniret aliquando, excommunicationis sententiam promulgassent. Et cum iidem apostolica auctoritate sibi mandassent, ut nec per se nec per alium impediret, quin postulationes, electiones, et confirmationes ecclesiarum ac monasteriorum per regnum et imperium libere fierent secundum statuta concilii generalis, et quod nullus deinceps in eisdem regno et imperio viris ecclesiasticis ac rebus eorum imponeret tallias vel collectas ; et quod nullus ibidem clericus vel persona ecclesiastica de cetero in civili vel criminali causa conveniretur coram judice seculari, nisi super feodum quod civiliter haberetur ; ac Templariis, Hospitalariis, et aliis personis ecclesiasticis satisfaceret competenter de damnis et injuriis eisdem per se et suos irrogatis, ipse mandatum hujusmodi contempserat adimplere. Nam ipso procurante undecim aut plures archiepiscopales sedes, et multae episcopales, abbatiae quoque et aliae ecclesiae in regno et imperio usque ad concilium praefatum vacaverant, in grave ipsarum praejudicium et periculum animarum. In quibus non solum facultates et bona fecerat prout voluerat occupari ; sed etiam cruces, calices, thuribula, et alios sacros earum thesauros, et pannos sericos, velut cultus divini nominis contemptor, auferri. Clerici quoque multipliciter collectis et talliis affligebantur ; nec solum ad seculare judicium trahebantur, sed ut asserebatur, subire duellum cogebantur, incarcerabantur, occidebantur, et patibulis in confusionem et opprobrium clericalis ordinis cruciabantur. Praefactis autem Templariis, Hospitalariis, et aliis personis ecclesiasticis, de damnis eisdem illatis et injuriis ab ipso non fuerat satisfactum.

La seconde cause, pource que il folement et mauvesement rompi la pais qui avoit esté faite entre leglize de Roume et lempire ; car come il eus testé asoulz des injures et des tors que il avoit fait a sainte eglize, poirquoi il avoit esté escommeniez ; et avoit juré devant deux cardinaus de leglize de Roume et devant moult de prelas et de princes, que il obeiroit du tout en tout sans nule condition ne exception faire, au mandement le pape et de leglise, et pardonroit toute painne et offence a touz ceus du royaume dAlemagne et de Sezile qui estoient aers a leglise contre lui, ne les courouceroit, ne feroit faire par luy ne par autres : de toutes ces chouses il ne fit nient ; ainçois prist tous leur biens et leur terres de leglize contre son serement. Et come len li eust mandé de lauctorité le pape, que les elections, postulations et confirmations de eglizes ne feussent empechies par lui ne par aute ou royaume de Sezile ne en lempire, que elle ne feussent faites selonc les estatus du concille general ; et que nus ne contrainsit clerc ne prestre, ne personne de sainte eglize a paier tallie ne taute, ne que il ne feussent trait devant juge seculier en cause de criesmes ou de contrait, se ce nestoit cause qui apartenit a fief ; et que il rendit aus Templiers et aus Hospitaliers, et aus autres personnes de sainte eglise, ce que i leur avoit tolu et extors : de toutes ces chouzes il ne fit nient ; ainçois furent par luy vagues dès lonc temps jusques au concille de Lyons XI. Arcevesques et moult de evesques et pluseurs abbés par le royaume et par lempire ; ausquels il osta calices et encensiers, et moult dautres chouses qui estoient pour le service Nostre Seigneur. Il fit clers paier tallies, toutes, et traire devant juges seculiers, et enchartrer et occire en despit et en la confusion de sainte eglise ; et ne fit pas satisfaction aus Templiers ne aus Hospitaliers de ce quil leur avoit tolu.

La seconde cause fut qu’il avait à tort et sans réfléchir rompu la paix conclue entre l’église de Rome et l’empire. En effet, après avoir injurié et fait du tort à la sainte église, ce pourquoi il avait déjà été excommunié, il s’était amendé en présence de deux cardinaux de l’église de Rome, de nombreux prélats ou de princes, en jurant qu’il obéirait en tout, sans condition ni exception, aux injonctions du pape et de l’église, qu’il pardonnerait peines et offenses à tous les sujets allemands ou siciliens qui avaient pris le parti de l’église contre lui, qu’il n’irait ni directement ni indirectement contre leurs intérêts. De tout cela il n’en fit rien et il confisqua tous leurs biens ainsi que les terres de l’église contre son serment. Alors que l’autorité papale lui avait expressément demandé de ne pas entraver directement ou indirectement les élections, les candidatures ou les nominations écclésiales ni dans l’empire ni au royaume de Sicile, qu’elles ne soient faites autrement que selon les statuts du concile général, et que personne ne contraignit ni clercs ni prêtres ni personne appartenant à la sainte église à

payer taille ou autre taxe, à être assignés en justice civile pour cause de crime ou de contrainte sauf si la cause en revenait au fief, qu’il rendit aux Templiers, aux Hospitaliers et à toutes les autres personnes de l’église tous les biens qu’il leur avait volé ou extorqué, de tout cela il n’en fit rien. C’est ainsi que par sa faute, bien avant le concile de Lyon, sont restés vacants les sièges de 11 archevêchés, de nombreux évêchés et de plusieurs abbés sur l’ensemble du royaume et de l’empire. Il leur déroba calices, encensoirs et beaucoup d’ustensiles employés à satisfaire le service de Notre Seigneur. Il fit payer la taille et les taxes aux clercs, les assigna en justice séculière ou tua et emprisonna contre les intérêts ou la réputation de la sainte église et ne rendit pas aux Templiers et aux Hospitaliers ce qu’il leur avait volé.


 

Ic - Année 1248 - page 366 - 198 - Ce passage est intégralement copié sur Vincent de Beauvais mais Guillaume de Nangis en donne une traduction en vieux Français.

 

De discordia quae erat inter soldanos Babyloniae et Halapiae.

 

Interea Soldanus Babyloniae intellecto quod Rex Franciae hyemaret in Cypro, statim iter arripuit veniendi versus partes Damasci, per civitatem Hierusalem transitum faciendo ; ad hoc intendens modis omnibus et aspirans ut Halapiae Soldanum, et alios eidem adhaerentes sibi pacificos et confederatos attraheret, eosque secum in auxilium suum contra Christianos adduceret. Ad hoc etiam nuncios suos Calyphas Baldacensis et Senex de Monte dominus Arsacidarum destinaverant, ut illos ad concordiam revocarent. At Soldanus Halapiae cognoscens versutiam, et malitiam Soldani Babyloniae, non est ausus in ipso confidere, nec pacem aut compositionem cum eo voluit inire. Propter quod idem Soldanus Babylonicus in iram motus, urbem Camele, quae pertinet ad Soldanum Halapiae per gentem suam obsidere fecit, et ipse Damascum rediit. In qua scilicet obsidione, idem Soldanus Babylonicus propter hiemem ac pluvias et Beduinorum incursus fertur in hominibus ac rebus et animalibus suis multa dispendia sustinuisse. Dum itaque Babylonicus exercitus in obsidione dicta permaneret, Soldanus Halapiae praeparato exercitu suo, venit ut eos ab obsidione removeret. Ad quem accedens nuncius Calyphae, monuit eum ut cum Soldano Babyloniae pacem firmaret, proponens ei pericula multa, quae Saracenis imminebant hoc tempore, eo quod exercitus Christianus ad perdendum gentes adque legem Mahometi pertinentes convenisset. Et si itaque ipsi Saraceni taliter in semetipsos bella convercerent, haec illis ad incommodum et confusionem, et Christianis eorum adversariis ad profectum cederent. Cum haec et alia etiam multa nuncius Calyphae proposuisset, et de hoc jam pluries cum eodem Soldano Halapiae tractasset, ille nullatenus verbum pacis admittere voluit, dicens quod quamdiu in ejus dominio Babylonii morarentur, super hoc aliquatenus non tractaret, et nisi recederent die crastina, procul dubio cum eis praelium et confliclum iniret. Videns itaque dictus nuncius quod nihil in tractatu pacis proficeret, recessit, ac festinans ad exercitum Babylonicum imminentis eis belli periculum nunciavit, et sic eos ab obsidione recedere fecit. Qui cum maxima confusione in Damascum receperunt se, ubi tunc morabatur Soldanus Babyloniae gravi detentus infirmate. Inter hoc autem magister militum Templi et marescallus Hospitalis scripserunt Ludovico Regi Franciae, quod soldanus Babyloniae cum exercitu suo venerat in partes Gazae ad consiliandum sibi Soldanum Halapiae et Damasci. Timebantque ne forte Joppem vel Caesaream intenderet obsidere. Postea quoque scripsit idem magister regi Franciae, quod admiraldus quidam soldani Babyloniae ad ipsum venerat, ut ejusdem Regis Francorum voluntatem inquireret, eo quod Dominus suus libenter pacem cum ipso haberet. Quod Regi omnibusque baronibus displicuit valde, presertim cum a quibusdam diceretur, Soldanus ad requisitionem ejusdem magistri, praedictum admiraldum ad ipsum misisse. Itaque Rex incontinenti praefato magistro per literas suas inhibuit, ne de caetero tales nuncios absque mandato suo speciali reciperet, aut cum eis colloquium habere praesumeret. Dicebatur enim ab omnibus qui factum Syriae noverant, quod quantumcunque oppressi essent Syri, nunquam primi faciebant verbum de treugis, sed tunc primo quando cum instatia magna requisiti super hoc erant a Turcis. Ideoque quod dictus magister, ut dicebatur, prior inde monerat verbum, ex hoc Christianorum conditio deterior facta fuerat, praesertim quia Turci ex hoc ipso poterant credere quod se rex viribus inferiorem existimans, quacumque causa vel occasione inventa, festinaret ad propria remeare.

Comment le soudan de Babilonne sesmut a venir contre les crestiens.

 

Après toutes ces chouzes dessus nommees, il avint que li soudans de Babiloine, qui oy dire que li roys Loys de France sejournoit en Chipre liver, si sesmut a venir vers les parties de Damas et passa Jherusalem, pource quil vouloit apaisier le soudant de Halape et ceus qui se aerdoient a lui et qui estoient de lonc temps si anemi ; et pour ce le faysoit li soudans, que il les cuidoit mener en sayde contre les crestiens. Et fist ce que li califes de Baudas et li vieux des Montaignes qui estoit roys des Haussacis, li envoierent lettres et messages, pource que il les peussent concorder ensamble. Mays li soudans de Halape, qui connut bien la tricherie et le malice dou soudan de Babiloine, si ne sosa fier en lui, ne vout faire pays ne composition de concorde vers li : pour laquele chouze li soudans de Babiloyne fu forment courouciés et fit assegier la cité de Camele par sa gent, laquele estoit de la seignourie au soudant de Halape, et puis sen repaira a Damas pour le temps diver. Au siege de Camelle ot li soudans de Babiloyne trop de dommages en gens, en bestes et en autres chouzes, pour le temps diver et pour la pluie, et pour Beduins qui couroient sa et la. Quant li soudans de halappe entendi que sa cités estoit assegiee, si appareilla tantost grant ost et sesmut pour oster le siege ; mais li messages au califfe vint encontre lui, et li amonnesta de par son maistre que il feit pays au soudan de Babiloine. Li messages propoza et dit que moult de maus avendroient a la gent sarrazine, se il ne faisoient pais ensemble ; quar crestien venoient pour destruire la loy Mahommet : et se il avenoit que Sarrazin se combatissent li un contre les autres, grant confusion leur en pourroit avenir, et joie et profit en crestroit aus crestiens, qui sont leurs anemis. Ces chouzes et moult dautres dites par les messages au califfe, li soudans ne vout fere pays ; ainçoys dist que tant comme cil de Babiloine seroient en la seignourie il ne trayteroient de tel chouze, et se il ne lessoient le siege de sa cyte, il se combateroient lendemain a eulx. Quant li message du calife vit quil ne pourroit faire la pais ne confermer pardevers le soudan, si sen departi tantost et ala en lost ceus de Babiloine, et leur dit tantost le peril qui leur sourdoit, se il ne se partoient erranment du siege. Tantost comme cil de Babiloyne entendirent les paroles du message au califfe, si se partirent du siege de Camele et retournerent a grant confusion a Damas, ou li soudans de Babiloyne estoit grievement malades. Outre ces choses qui ainsi avenoient, envoia li maistre du Temple et li mareschaus de lospital dAcre au roy Loys, esquelesil senefioient que li soudans de Babiloyne estoit venuz a grant ost es parties de Gaze pour faire pays au soudant de Halape et de Damas, et se doutoient forment quil nasseit ou Jaffre ou Cesayre. Après ce, derechief escrit li maistres de Temple au roy Loys, que uns amiraus de lost au soudan de Babiloyne estoit venus a li pour enquerre et pour savoir si le roys Loys de France venroit pais faire au soudant ; car ce feroit il volontiers. Quant li roys Loys de France oy ce, si li desplot moult durement et a tous ces barons aussi ; mesmement si comme aucuns disoient, li soudans a la requeste du maistre li envoia lamiral. Tantost li roys Loys envoya au mestre du Temple par ses lettres, que il ne fut deslors en avant si hardis que il ne receut tes messages sans son especiel commandement, ne que parlement ne tenit aus Sarrasins de tes choses. On disoit parmi Chipre, cil qui connoissoient les fays de la terre de Surie, que li Syrien, conbien que il fussent grevé, ne faysoient point prumiers mention ne paroles de trives prendre ; mais lors le faysoient quant il en estoient requis a grant instance. Et pource que li maistre en avoit prumiers parlé, si comme on disoit, la condition des crestiens en estoit empiriee ; et mesmement pooient li Turs croire que se li roys Loys ne se sentit plus foible des Sarrazins, que il ne requesit pas trives ne pays.

Comment le sultan de Babylone fit mouvement contre les chrétiens.

 

Après tout ce qui est décrit ci-dessus, le sultan de Babylone, après avoir appris que le roi Louis hivernait à Chypre, fit mouvement vers Damas en passant par Jérusalem pour aider le sultan d’Alep et ses alliés qui auparavant étaient ennemis à entrer en campagne contre les chrétiens. C’est alors que le caliphe de Baghdad et le Vieux de la montagne qui était le roi des Assassins, lui envoyèrent des messages afin qu’ils puissent se mettre d’accord. Cependant le sultan d’Alep, qui connaissait parfaitement la perfidie du sultan de Babylone et n’osait se fier en lui, se refusa à toute aliance. Le sultan de Babylone en prit ombrage et fortement courroucé mit le siège devant la cité d’Homs (anciennement Emèse), cité de la seignerie du sultan d’Alep, puis il se rendit à Damas pour hiverner. Il avait perdu trop de soldats, de montures et de matériels divers au siège d’Homs, il fallait se protéger du froid, de la pluie et des Bédoins qui rodaient. Quand le sultan d’Alep apprit que sa ville était assiégée, il leva une grande armée et se mit en marche pour lever le siège. Des messagers du calife vinrent à lui et lui intimèrent de faire la paix avec le sultan de Babylone.Les messagers expliquèrent que de grands maux adviendraient aux Sarrasins s’ils ne faisaient la paix entre eux car les chrétiens étaient venus pour détruire la loi de Mahomet et si les Sarrasins en venaient à se combattre les uns les autres, il en résulterait une grande confusion dans leur rangs et beaucoup de joies et de profits pour leurs ennemis chrétiens. Tout ceci et beaucoup d’autres choses rapportées par les messagers du calife ne ramenèrent pas la paix et il fut répondu que tant que le sultan de Babylone serait dans la seigneurie, il ne se ferait aucun traité et que si le siège de la cité n’était levé il y aurait des combats dès le lendemain. Quand le messager du calife vit qu’il ne pourrait rien obtenir du sultan ni faire la paix, il se retourna vers celui de Babylone et lui décrivit le danger qu’il encourrait s’il ne levait le siège de suite. Après avoir entendu le messager du calife, le sultan de Babylone leva le siège d’Homs et rapatria son armée en grande confusion sur Damas où le sultan de Babylone tomba gravement malade. Pendant ces évènements, le maître du Temple et le maréchal de l’Hôpital d’Acre envoyèrent une missive au roi Louis par laquelle ils signifiaient que le sultan de Babylone avait rejoint les sultans d’Alep et de Damas avec une grande armée dans les environs de Gaza et qu’il était probable qu’il assiègent Jaffa ou Césarée. Après cela, le maître du Temple réécrivit au roi Louis qu’un des émir de l’armée du sultan de Babylone était venu à lui pour s’informer et savoir si le roi Louis de France ne voulait pas faire la paix avec le sultan qui y consentirait bien volontiers. Quand le roi Louis de France entendit le message, ceci lui déplut fortement et ce fut aussi le cas pour ses barons dont quelques uns prétendirent même que ce fut à la demande du maître que le sultan envoya son émir. Le roi Louis répondit par lettre au maître du Temple qu’il lui interdisait dorénavant de recevoir de tels messagers sans son assentiment spécifique ni de parlementer avec les Sarrasins à ce sujet. Il se disait à Chypre par ceux qui connaissaient bien les coutumes syriennes, que jamais les syriens, même en cas de déconfiture, ne parlaient jamais de trève les premiers mais qu’ils ne le fesaient que réduits à la dernière extrémité. Il se disait que c’était bien la preuve que le maître avait parlé en premier, ce qui affaiblissait la position des chrétiens et que les Turcs pourraient même croire que le roi Louis se sentait plus faible que les Sarrasins ce qui expliquait pourquoi il demandait de négocier la paix.


 

Id - Année 1250 (de l’éditeur) Page 374 - 213 – Passage à comparer avec celui de Vincent de Beauvais Ec. Guillaume de Nangis ne cite pas les Templiers lors de la bataille de Mansourah et a supprimé la référence aux religieux tués.

 

Beauvais

  

Itaque transacto fluvio ventum est ad locum, ubi juxta praedictam calciatam erant machinae Saracenorum. Habitoque cum Saracenis congressu, nostri qui praecedebant non parcentes sexui vel aetati, multos ex ipsis trucidarunt. Inter quos et capitaneum illorum, et quosdam alios admiraldos ibidem interfecerunt. Deinde vero dispersis aciebus nostris quidam nostrorum per hostium castra discurrentes venerunt usque ad villam quae Massora dicitur, quotquot hostium occurrebant gladiis occidentes. Sed tandem Saraceni percepto corum inconfulto processu, resumptis viribus irruerunt in eos, et undique circumuallantes oppresserunt ipsos. Ubi nostrorum strages non modica Baronum ac militum tam religiosorum quam aliorum facta est. Ibique et Roberrus comes Attrebatensis frater Ludovici Regis in manus hostium incidens, temporaliter amissus est.

Nangis latin


Itaque transacto fluvio ventum est ad locum, ubi juxta praedictam calciatam erant machinae Sarracenorum, habitoque cum Sarracenis congressu, nostri qui praecedebant non parcentes sexui vel aetati multos ex ipsis trucidarunt. Inter quos et capitaneum illorum et quosdam alios admiratos ibidem interfecerunt. Deinque vero dispersis aciebus nostrorum, quidam ipsorum per hostium castra discurentes, venerunt usque ad villam quae Massora dicitur, quotquot hostium occurebant gladiis occidentes. Sed tantem Sarraceni, percepto eorum inconsulto processu, resumptis viribus irruerunt in eos, et undique circumvallantes oppresserunt ipsos : ubi nostrorum strages non modica tam baronum, quam militum, ac aliorum facta est. Ibi namque Robertus comes Atrebatensis, frater Ludovici regis Franciae, alios praeveniens, ut vidit villam apertam, se infra eam impetuose et minus caute ingerens, inter manus hostium incidens, temporaliter est amissus.

Nangis français


Toutes vois par la volenté de Dieu nos gens passerent le flum et vindrent au lieu devant la chaucié, ou li Sarrazin avoient levé leur engins. Iluec se combetirent aus Sarrazins et moult en occirent, entre lesquels leur chapitainne fu occis et aucuns des amiraus. En la partin avint que les notres sesparpillerent et coururent parmi les tentes aus Sarrazins, ociant et detrenchant quanque il trouverent de leur anemis ; jusques a la ville de Massourre le enshaucierent. Mays quant li Sarrazins aperceurent ceus qui si estoient esparpillé et si sotement coururent, il pristrent force en eulz et coururent contre nos gens, et les avironnerent et enclostrent en tele maniere, que grant partie occirent des barons et des chevaliers, et des aitres gens. Iluce avint une aventure trop layde ; car li cuens dArtoys freres le roys Loys, qui chevaliers preus et hardis estoit, si fui après les Sarrazins qui fuioient en la ville de la Massoure, parmi le porte que il vit ouverte, et iluec fu pris ou occis, si que puis nouvelle neu fu oye ; dont ce fu moult grans domages ; car il estoit bons chevaliers et hardis.

 

 

 

Par la volonté divine, les  nôtres traversèrent le fleuve et vinrent en face de la chaussée là ou les Sarrasins avaient dressés leurs engins. Ils se battirent alors avec les Sarrasins et en massacrèrent beaucoup dont leur chef et ses émirs. Puis les nôtres s’éparpillèrent et coururent entre les tentes des Sarrasins, tuant et découpant tant qu’il y eut des ennemis. Ils les suivirent jusqu’à la ville de la Massoure. Mais quand les Sarrasins s'aperçurent que leurs poursuivants étaient si bêtement éparpillés, ils se reprirent et chargèrent contre eux, ils les encerclèrent et les barricadèrent de telle façon que la plus part des barons, des chevaliers et des autres furent tués. Ce fut grande pitié car le comte d’Artois, frère du roi Louis, qui était un chevalier hardi et courageux, parce qu'il poursuivait les Sarrasins dans la ville de la Massoure, franchissant la porte ouverte, y fut pris ou tué car on n’eut plus de ses nouvelles. Ce fut une calamité car c’était un bon et hardi chevalier.